Défier la mort, un vieux rêve, et le dernier mantra des Big Techs. Mais qu’est-ce que ce défi prométhéen soulève comme interrogations ? On a posé la question au philosophe Philippe Huneman. Cette interview est parue dans le magazine l’ADN
Philosophe des sciences et de la biologie, Philippe Huneman a récemment publié un vaste ouvrage sur la mort, ses causes, explications et justifications à travers l’histoire. Il explique en quoi les dernières découvertes de la recherche anti-âge restent malgré tout limitées.
À lire : Death. Perspectives from the Philosophy of Biology, Philippe Huneman (Palgrave Macmillan, 2023)
Comment les premiers philosophes ont adressé la question de la mort ?
Philippe Huneman : Les discours sont très clivés ! Dans l’Antiquité, Platon affirme dans un dialogue intitulé Le Phédon, que « ceux qui philosophent droitement s’exercent à mourir », comme si penser notre fin donnait un sens à notre vie. À l’inverse, les disciples d’Épicure proclament peu après que « la mort n’est rien pour nous » : si j’y pense, c’est que je suis vivant, et si j’étais décédé, je ne pourrais pas y penser ; le plus raisonnable serait donc d’y être indifférent… Le débat se poursuit même mille ans plus tard. Un philosophe comme Montaigne juge dans ses Essais que « philosopher, c’est apprendre à mourir », tandis que Spinoza estime dans L’Éthique que « L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie ». Se positionner par rapport à notre disparition semble faire partie des grands invariants de la pensée à travers l’histoire.