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Olivier Mongin explique dans Philosophie Magazine (n° 30, juin 2009) que l’humour français à la particularité d’être textuel et méchant. Une analyse qu’illustre Charlie Hebdo cette semaine encore.
« J’aime bien le langage. Sans se salir les mains, c’est un outil formidable pour tuer quelqu’un ou pire, l’humilier », ricanait l’humoriste Pierre Desproges. Faire rire, est-ce faire souffrir ? Mercredi 3 juin, la couverture de Charlie Hebdo a paru drôle aux uns et cruelle aux autres. Le dessin de Riss montre l’Airbus A330-200 d’Air France, volatilisé depuis lundi, piquer du nez dans l’Atlantique sur fond de ciel embrasé ; en légende : « 228 disparus… 228 abstentions de plus aux européennes ! »Interrogé le jour même pour la chaîne de télévision Canal +, le porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre s’est indigné. « Il y a des limites : c’est de ne pas faire souffrir inutilement des gens qui souffrent déjà. » Sous la plume de Charb, directeur de la publication, Charlie Hebdo réplique aussi sec sur son site internet. « On emmerde ces profs d’humour indignés qui n’ont jamais ouvert Charlie et qui découvrent la une de cette semaine sur des blogs à la con ! » Il ajoute que ce dessin ne se moque pas des victimes, mais des médias qui ont davantage parlé du fait-divers que des élections européennes.
Sur cette couverture, ce n’est pas le dessin qui fait rire ou qui choque ; c’est le texte. « Les Français ont besoin de parler et de se moquer pour rire, explique le directeur de la revue Esprit et auteur de De quoi Rions-nous ?, Olivier Mongin. Ils ne savent pas faire de l’humour muet » (1). En novembre 1970 déjà, Hara-Kiri Hebdo, l’ancêtre de Charlie, a indigné la classe politique et l’opinion publique en six mots : « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». Le professeur Choron, auteur de ces lignes, relativise le décès du général de Gaulle en le comparant à un fait-divers advenu peu avant, l’incendie d’un dancing qui avait tué 146 personnes. Las, ce numéro sera le dernier. Hara-kiri Hebdo est interdit de publication et deviendra Charlie Hebdo pour reparaître. Aujourd’hui, cette couverture est considérée, à tort ou a raison, comme l’une des plus drôles de leur histoire. Qu’en sera-t-il de celle du 3 juin ? Charb prophétise : « Celui ou celle que la couverture de Charlie de cette semaine indigne s’indigne avec 40 ans de retard. On attendra bien encore 40 ans pour rigoler ensemble ».