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« Le vote bobo n’existe pas »

Ils seraient cultivés, à l’aise financièrement, habiteraient les centres de grandes villes et voteraient de manière homogène, plutôt à gauche… Ils, ce sont les bobos. Une « caricature » selon Jean Rivière, enseignant-chercheur en géographie, qui vient de publier L’Illusion du vote bobo (PUR, 2022), où il démontre l’hétérogénéité de cet électorat supposé. Cette interview est parue dans Le Journal du CNRS.

Bureau de vote à Strasbourg (67), le 10 avril 2022, lors du premier tour de l’élection présidentielle. © Frédéric Maigrot / RÉA

Pourquoi dites-vous que le « vote bobo » n’existe pas ?

Jean Rivière. Au-delà du vote, c’est l’idée même de « bobo » qui pose problème. C’était déjà l’objet d’un précédent livre collectif auquel j’ai participé : Les Bobos n’existent pas (PUL, 2018). À travers cette notion, on imagine une catégorie de la population qui serait homogène sur presque tous les plans – idéologique, politique, intellectuel, professionnel, géographique… Ce serait des personnes bien dotées, financièrement et culturellement, privilégiant les centres de grandes villes et adhérant plutôt à des idées de gauche.

« Le terme de “bobo” est apparu sous la plume de l’essayiste conservateur américain David Brook au début des années 2000 »

Mais dès qu’on essaye de comprendre concrètement de qui on parle, à l’aune de statistiques et de recherches scientifiques, on constate bien vite que c’est une caricature. Vous ne pouvez pas mettre sur le même plan un architecte vedette, propriétaire à Paris et gagnant 10 000 euros par mois ou plus, et un jeune graphiste indépendant installé dans un studio à Lille, qui peinerait à joindre les deux bouts. Ils n’ont pas forcément les mêmes préoccupations, goûts ou idées… Et souvent ils ne votent pas de la même façon. C’est pourtant ce qu’on fait croire en les associant à un même « vote bobo ».

Cette idée s’est néanmoins imposée sur la scène médiatique…

J. R. Le terme de « bobo » est apparu sous la plume de l’essayiste conservateur américain David Brook au début des années 2000. En France, l’expression est d’abord reprise avec une certaine autodérision par des médias situés à gauche. Puis la droite et l’extrême droite s’en emparent à la fin des années 2000 pour délégitimer des causes politiques associées à ce groupe supposé : l’écologie, l’antiracisme ou encore l’antisexisme.

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L’esprit français est-il soluble dans l’Europe ?

Sur www.philomag.com

Philosophie Magazine consacre son numéro de juin aux Français : sont-ils galants, gourmets, cartésiens, fiers de leur langue, xénophobes… ? Cette série d’articles éclaire aussi le désintérêt des citoyens pour les élections européennes

Ça ne prend pas, ça n’intéresse pas ; l’Europe n’aura pas mobilisé les foules ni les médias. Selon un sondage TNS Opinion mené du 4 au 15 mai à la demande du Parlement de Strasbourg, moins d’un Européen sur deux est sûr d’aller voter. La France est dans la moyenne avec 45% d’électeurs certains de se rendre aux urnes dimanche 7 juin. « Il est difficile aujourd’hui d’organiser de grands débats démocratiques à l’échelle de l’Europe, analyse la politologue belge Justine Lacroix dans Philosophie Magazine ; le débat, y compris sur les questions européennes, a encore lieu principalement au niveau national. »Interrogé lundi 1er juin sur Europe 1, l’ancien premier ministre Alain Juppé a déploré cette vision franco française des élections. « La gauche transforme ça en une espèce de vote anti-Sarkozy. La droite essaie au contraire d’en faire une sorte de victoire de la politique de l’UMP… » Justine Lacroix renchérit : même les polémiques autour du référendum sur la Constitution européenne, en 2005, étaient  un « débat national sur l’Europe »  plus qu’un « débat européen à proprement parler ». Les Français parlent aux Français, mais pas l’espéranto.

Tantôt ils entendent défendre leur singularité, menacée de se dissoudre dans l’ensemble européen. Tantôt ils entendent projeter le modèle français à l’échelle européenne. Gastronome (2), la France supporte mal une directive sur le vin rosé ou le camembert. Laïque (3), pour ne pas dire “laïquarde”, elle brandit la séparation de l’Église et de l’État quand d’autres, l’Allemagne en tête, veulent graver les racines chrétiennes dans le marbre constitutionnel (4). Résultat, les partis politiques ont préféré parler d’Europe à la française que de France à l’européenne. La droite est revenue à la charge sur la nation, la Turquie, l’immigration (5) ou encore l’insécurité (6) ; et la gauche a fait comme si toute l’Europe pouvait du jour au lendemain se convertir au modèle social de l’État Providence.

Dans ce climat, au lieu de faire semblant de parler de l’Europe à chaque scrutin européen, il conviendrait peut-être de faire le point sur ce modèle français (7), sur les principes et l’esprit de la singularité française, faite de grandeur et de fraternité, mais aussi d’arrogance (8) et de xenophobie…. Cela permettrait de décider en conscience sur ce à quoi nous ne voulons pas renoncer et ce que nous avons à proposer dans le concert des nations européennes.

Philosophie Magazine n° 30

(1) Les Français, indifférents à l’Europe ? (p. 40-41)
(2) Le Français, fines bouches ? (p. 56-57)
(3) Les Français, des mécréants ? (p. 52-53)
(4) Pourtant la rationalité et l’esprit critique – en un mot la philosophie – seraient des principes d’unité plus pertinents que la   religion, comme le montre notre Plaidoyer pour une Europe philosophique et notre carte exclusive des cours de philosophie en Europe (p. 16-19)
(5) Les Français, tous xénophobes (p. 46-47) et La république de la diversité (p. 45)
(6) Les Français, légalistes ou rebelles ? (p. 38-39)
(7) Existe-il un esprit français ? (p. 30-61)
(8) Les Français, trop fiers de leur langue ? (p. 50-51)

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Un calembour qui blesse, est-ce de l’humour français ?

Sur www.philomag.com

Olivier Mongin explique dans Philosophie Magazine (n° 30, juin 2009) que l’humour français à la particularité d’être textuel et méchant. Une analyse qu’illustre Charlie Hebdo cette semaine encore.

« J’aime bien le langage. Sans se salir les mains, c’est un outil formidable pour tuer quelqu’un ou pire, l’humilier », ricanait l’humoriste Pierre Desproges. Faire rire, est-ce faire souffrir ? Mercredi 3 juin, la couverture de Charlie Hebdo a paru drôle aux uns et cruelle aux autres. Le dessin de Riss montre l’Airbus A330-200 d’Air France, volatilisé depuis lundi, piquer du nez dans l’Atlantique sur fond de ciel embrasé ; en légende : « 228 disparus… 228 abstentions de plus aux européennes ! »Interrogé le jour même pour la chaîne de télévision Canal +, le porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre s’est indigné. « Il y a des limites : c’est de ne pas faire souffrir inutilement des gens qui souffrent déjà. » Sous la plume de Charb, directeur de la publication, Charlie Hebdo réplique aussi sec sur son site internet. « On emmerde ces profs d’humour indignés qui n’ont jamais ouvert Charlie et qui découvrent la une de cette semaine sur des blogs à la con ! » Il ajoute que ce dessin ne se moque pas des victimes, mais des médias qui ont davantage parlé du fait-divers que des élections européennes.

Sur cette couverture, ce n’est pas le dessin qui fait rire ou qui choque ; c’est le texte. « Les Français ont besoin de parler et de se moquer pour rire, explique le directeur de la revue Esprit et auteur de De quoi Rions-nous ?, Olivier Mongin. Ils ne savent pas faire de l’humour muet » (1). En novembre 1970 déjà, Hara-Kiri Hebdo, l’ancêtre de Charlie, a indigné la classe politique et l’opinion publique en six mots : « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». Le professeur Choron, auteur de ces lignes, relativise le décès du général de Gaulle en le comparant à un fait-divers advenu peu avant, l’incendie d’un dancing qui avait tué 146 personnes. Las, ce numéro sera le dernier. Hara-kiri Hebdo est interdit de publication et deviendra Charlie Hebdo pour reparaître. Aujourd’hui, cette couverture est considérée, à tort ou a raison, comme l’une des plus drôles de leur histoire. Qu’en sera-t-il de celle du 3 juin ? Charb prophétise : « Celui ou celle que la couverture de Charlie de cette semaine indigne s’indigne avec 40 ans de retard. On attendra bien encore 40 ans pour rigoler ensemble ».

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