Même si vous êtes parfaitement bilingue, il y a de fortes chances que la phrase « I’ll kill him » vous choque moins que sa traduction française, « je vais le tuer ». Selon une série d’études rapportée par le magazine Scientific American, nous cautionnons plus facilement des actions moralement répréhensibles lorsqu’elles nous sont présentées dans une langue étrangère.
Le chercheur en psychologie Albert Costa, de l’université Pompeu Fabra (Barcelone), a soumis des volontaires bilingues au « dilemme du tramway » – une expérience de pensée classique en philosophie morale, qui revient à se demander si l’on pourrait volontairement tuer une personne pour en sauver plusieurs. En l’occurrence, 20 % des participants ont répondu « oui », quand ce choix leur était exposé dans leur langue native, contre 50 % lorsqu’il leur était soumis dans leur langue d’apprentissage.
La chercheuse en science cognitive Janet Geipel, de l’Université libre d’Amsterdam, a fait le même constat en élargissant l’expérience à des récits moralement répréhensibles, par exemple en lisant aux participants l’histoire d’un inceste entre frère et sœur. Là encore, les auditeurs ont jugé le contenu moins choquant lorsqu’il leur était exposé dans une langue étrangère
Une explication possible serait que notre cerveau, déjà occupé à traduire le récit, aurait moins d’énergie à consacrer au dilemme moral lui-même, et se montrerait du même coup plus expéditif, pragmatique et utilitariste dans ces circonstances.
D’autres chercheurs envisagent que notre langue maternelle, ayant servi de socle à notre développement psychique et intellectuel, serait plus « chargée » en émotions, affects et interdits ; notre sens moral serait dès lors plus prompt à se manifester et à mettre son veto.
Gardez ces résultats dans un coin de votre tête lorsque vous faites du tourisme ou discutez avec des étrangers.
Cet article est paru dans Sciences Humaines