Alors que le premier tour de l’élection présidentielle en Egypte vient de s’achever, la victoire proclamée des islamistes reste sujette à caution.
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50 millions d’électeurs ont été appelés aux urnes dans plus de 13 000 bureaux de votes à travers le pays © Khaled Desouki / AFP
Le dépouillement des bulletins de vote était en cours dans la nuit de jeudi à vendredi en Égypte, à l’issue du premier tour d’une élection présidentielle très disputée par douze candidats briguant la succession de Hosni Moubarak, renversé par une révolte populaire. Quelques heures après la clôture des bureaux de vote, les Frères musulmans, première force politique du pays, ont indiqué lors d’une conférence de presse que leur candidat, Mohammed Morsi, menait dans 236 des 13 000 bureaux de vote, rapporte l’AFP.
Dès mercredi, le quotidien Algérien Liberté jugeait la victoire des Frères musulmans assurée : « Sauf surprise, écrivait l’éditorialiste Merzak Tigrine, un des candidats de la mouvance islamiste, donnés favoris par les analystes et les sondages, devrait l’emporter. L’Égypte est donc sur le point de devenir le premier pays après le Printemps arabe à avoir un pouvoir d’obédience entièrement religieuse. » L’issue du vote est cruciale pour l’orientation que prendra le pays le plus peuplé du monde arabe, avec quelque 82 millions d’habitants, partagé entre la tentation islamiste et celle d’une normalisation incarnée paradoxalement par des personnalités de l’ère Moubarak, indique l’AFP.
La victoire de la confrérie islamique n’est pas encore assurée. « En plus de 25 ans de reportage, jamais je n’ai couvert un scrutin aussi indécis, témoigne Vincent Hugueux, grand reporter au service Monde du magazine L’Express. Il existe au moins 6 ou 7 combinaisons pour un éventuel ballotage. » Christophe Ayad et Claire Talon, envoyés spéciaux au Caire pour le journal Le Monde, vont dans le même sens. Ils remarquent que « Les Frères musulmans sont sur la défensive » suite à une série de faux pas. Depuis quelques mois notamment, les islamistes et l’armée « peinent à trouver un terrain d’entente, analyse Sophie Pommier, auteur de Égypte, l’envers du décors (La découverte), pour le quotidien Libération. Les militaires (…) veulent contrôler le budget de la défense et avoir un droit de regard sur la politique économique. De leur côté, les Frères musulmans ont besoin de réformer le système pour relancer une économie au bord du gouffre. Il y a là une incompatibilité d’intérêts. » De nombreux analystes estiment d’ailleurs que l’armée, épine dorsale du système depuis la chute de la monarchie en 1952 et qui détient un patrimoine économique considérable, restera un acteur important de la vie politique.
Autre difficulté : la peur d’un État islamique monolithique a pris de l’ampleur dans la société civile, notamment au sein de la communauté copte (Chrétiens d’Égypte), qui représente près de 10 % de la population. « Les islamistes sont déjà majoritaires au Parlement, s’inquiète l’un d’entre eux, cité par le magazine La Vie ; s’ils entrent dans le gouvernement, ce sera terminé pour nous. » L’année dernière, des salafistes ont pris d’assaut deux églises dans le quartier d’Imbaba. Bilan : 12 morts, dont 6 chrétiens. Aujourd’hui encore, il suffirait d’une étincelle pour que le feu intercommunautaire reprenne.
À l’échelle nationale, une coalition des Coptes d’Égypte s’est formée en vue de la présidentielle. Ses membres ont rencontré tour à tour les cinq candidats laïcs pour faire barrage aux islamistes. La communauté a finalement jeté son dévolu sur Amr Moussa, candidat favori des sondages, mais peut-être pas de l’Égypte. « Les révolutionnaires comme moi sont coincés, confie par exemple un militant copte : avec Amr Moussa, mon quotidien de chrétien sera protégé et, avec les islamistes, je suis sûr que les militaires seront jugés pour les crimes qu’ils ont commis depuis un an. » Amr Moussa est très critiqué, par les Frères musulmans notamment, pour son passé de ministre sous Hosni Moubarak. Verdict des urnes : mardi.