Le nouveau film Laurence anyways du Québécois Xavier Dolan offre un point de vue peu fréquent en Europe sur le masculin et le féminin : les études de genre.
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L’acteur français Melvil Poupaud, dans le rôle de Laurence
Difficile d’expliquer les gender studies en France. Le troisième film de Xavier Dolan, Laurence anyways, présenté le 18 mai à Cannes dans le cadre de la sélection « Un certain regard », lèvera peut-être quelques ambiguïtés. Ce courant philosophique américain, né dans les années 70 aux Etats-Unis, s’attache à l’étude du masculin et du féminin. L’une des principales thèses défendues, mais pas la seule, est l’idée qu’il s’agisse de constructions sociales indépendantes du fait biologique. Concrètement : on peut être un homme et se comporter comme une femme, et inversement. Il n’y aurait pas de raison physiologique d’être machiste ou soumis(e), rude ou coquet(te), etc…
Laurence anyways en donne l’exemple à travers le portrait d’un professeur de philosophie, en couple à Montréal, qui prend conscience à 30 ans de son désir d’être femme. Le paradoxe, c’est qu’il n’est pas homosexuel pour autant. Si ses organes génitaux le dégoûtent, il aime pourtant sa femme. Celle-ci pourra-t-elle accepter, bon gré mal gré, son changement d’attitude ? C’est finalement ce problème de couple — certes pas banal — qui structure le récit. Ce film a l’avantage de rompre avec l’idée que la critique du « genre » s’attache pour l’essentiel à la reconnaissance de l’homosexualité. À l’origine, les gender studies sont issues des courants féministes qui dénonçaient des discriminations rampantes à l’encontre des femmes. Celles-ci seraient à l’œuvre dans les institutions, l’éducation ou même le langage — par exemple : « le masculin l’emporte », en grammaire.
Les Américains et les Anglais y sont familiarisés, les Français moins. Bien que les gender studies s’inspirent largement de la philosophie française — notamment du célèbre « on ne naît pas femme, on le devient », de Simone de Beauvoir —, elles n’arrivent que péniblement à passer le seuil de l’université. Beaucoup de chercheurs se méfient d’un féminisme américain soupçonné de communautarisme, d’autres polémiquent sur sa transplantation en France. Les « études sur le genre » gagnent cependant une légitimité croissante, jusqu’à s’introduire dans les manuels scolaires. En 2011 en effet, une violente polémique éclate entre des associations catholiques et le ministère de l’éducation : les nouveaux livres de biologie admettent explicitement, pour la première fois, une distinction entre identité sexuelle et genre.
De fil en aiguille, le débat français sur les gender studies se focalise sur une question d’actualité : le mariage homosexuel. Pour cause, le combat pour l’égalité entre les sexes est devenu si consensuel que les associations et politiques ne le remettent pratiquement plus en question. Les éventuelles disputes sur les rôles dévolus aux hommes et aux femmes sont reléguées dans la sphère privée. Reste un débat de société : la reconnaissance des orientations sexuelles. Laurence anyways a l’avantage de rappeler que les questions soulevées par les gender studies ne se réduisent pas à cela, qu’il s’agit d’une conséquence parmi d’autres, comme la possibilité d’une vie de couple pour une femme et un homme qui s’aiment à rebours de certaines normes — sociales ou biologiques, c’est selon.