Rocky, la revanche du blanc

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n° 344, février 2022)

Le 4 juillet 1910 aux États-Unis, le boxeur James Jeffries enfile les gants face à Jack Johnson, « dans le seul but de prouver qu’un homme blanc est meilleur qu’un Nègre ». Mais « le grand espoir blanc », comme le surnomment ses fans, prend une raclée, tandis que J. Johnson, enfant d’anciens esclaves et né dans l’extrême pauvreté, devient le premier Noir sacré champion du monde catégorie « poids lourds » de l’histoire de la boxe. Cette consécration était interdite aux Afro-Américains jusque-là. Beaucoup ne se priveront plus de truster le podium par la suite, comme Mohamed Ali dans les années 1960-1970, ou plus près de nous « Iron » Mike Tyson.

Dans un univers parallèle cependant, l’histoire a suivi une autre voie : un boxeur blanc, issu de la classe ouvrière américaine, victime de la crise économique des années 1970 et démuni de tout, se retrouve par chance sur le ring face à une caricature affairiste de Mohamed Ali. Il l’envoie au tapis, lève le poing en signe de victoire et devient une légende vivante de la boxe. Ce champion, c’est Rocky, héros d’une saga cinématographique culte depuis un demi-siècle – une version restaurée du premier opus est encore sortie au cinéma fin novembre.

Le triomphe mondial de ces films doit beaucoup à leurs qualités cinématographiques et aux valeurs rassembleuses qu’ils mettent en scène – le dépassement de soi, l’émancipation sociale, la solidarité… Mais l’histoire de Rocky peut aussi être assimilée à une « revanche rêvée des Blancs », comme l’évoque l’historien Loïc Artiaga. Au fil des épisodes, « trois figures archétypales permettent au personnage de Balboa de se construire et de s’ériger contre : le Noir, le communiste et, dans le cercle intime, l’épouse ». Rocky apparaît comme le héros de la suprématie blanche, de l’individualisme libéral et de la virilité testostéronée.

Déclassées dans le réel depuis les années 1970, ces valeurs triompheraient dans la fiction pour offrir un exutoire à leurs adeptes. Avec un certain succès, puisque Rocky est au final plus connu que Larry Holmes, véritable champion du monde des poids lourds lorsque le premier film est sorti. Faut-il préciser qu’il était noir ? 

À LIRE

Poster un commentaire

Classé dans Histoire, Pop culture, Société

Les commentaires sont fermés.