Dans les années 1970, Gilles Deleuze rêvait d’inventer une pop’philosophie, encore nommée pop’analyse, mystérieusement décrite comme une sorte de « lecture en intensité », de « branchement électrique » sur les livres et les idées. Cette idée semblait lui tenir à cœur. Il y revient à quatre ans d’intervalle, fait éditer les rares textes évoquant ce projet sans le mener à bien. Aujourd’hui la pop’philo est partout : sur les étals des libraires, dans les médias et les festivals culturels. L’idée est de passer un objet populaire – films, séries télé, romans d’aventures, hits de musique… – au crible de la philosophie académique. Sans condamner cette mode, Laurent de Sutter entend néanmoins revenir à l’intention première de Deleuze pour en tirer un autre programme. La pop’philosophie ne naît pas seulement de la rencontre d’un produit léger avec un outil savant, relève-t-il, elle consiste à s’immerger au cœur de n’importe quel objet de recherche – populaire comme rébarbatif – pour en faire quelque chose de plus excitant et en multiplier les significations. C’est un peu comme aller dans une boîte, imagine L. de Sutter, en faire déborder le contenu et l’ouvrir ainsi sur l’extérieur : « Pop est le bruit que fait la boîte lorsque le couvercle saute », quand de nouveaux liens peuvent s’établir avec le dehors et ainsi transformer l’objet ou l’idée de départ. L. de Sutter montre en quoi cette conception s’inscrit plus fidèlement dans le combat de Deleuze contre la « rationalité froide » et universitaire, pour une appréhension dynamique et non statique des objets de pensée, et est conforme à son projet de transformer la pratique philosophique de l’intérieur. Cet essai dense, à l’argumentation serrée, déploie une pensée originale et libre, parfois même critique de son principal inspirateur.
Cet article est paru dans Sciences Humaines ( n°313 – avril 2019), à retrouver en ligne !