Jeudi 18 octobre, un public bigarré se presse dans la librairie Eyrolles, à Paris. Chercheurs, startupers, ingénieurs, éditeurs ou simples curieux, tous sont venus découvrir le « premier livre au monde entièrement traduit par une intelligence artificielle (IA) », selon l’invitation. Non sans scepticisme parfois : « Combien d’éditeurs humains sont repassés sur la première version ? », se demande un traducteur. Mais cette performance, réalisée par la startup Quantmetry et les éditions Florent Massot, se révèle à la fois plus modeste et plus intéressante qu’on pouvait le penser.
L’ouvrage en question, Deep Learning (L’Apprentissage profond en français) est une bible pour les chercheurs en IA. Publié par le MIT Press aux États-Unis, il ne trouvait pas de débouché en France. « C’est un texte extrêmement technique, qui aurait nécessité le travail de rares traducteurs spécialisés et pour un coût important », explique l’éditeur. 150 000 euros de budget environ, pour des ventes appelées à rester confinées auprès d’un public spécialisé. Mais c’est aussi un texte très codifié, respectant des tournures de style, une construction et des critères formels beaucoup plus rigides qu’une œuvre littéraire. C’est ce qui a rendu possible sa traduction par une IA.
Les ingénieurs de Quantmetry ont nourri un logiciel – développé par la startup allemande DeepL – de formules mathématiques et de systèmes d’écriture propres à ce type d’ouvrage, obtenant en deux mois et pour le quart du budget initial une traduction fidèle ; seuls 15 % des quelque 800 pages ont dus être révisés. « D’autres ouvrages spécialisés pourront enfin être traduits », s’enthousiasme Florent Massot. En sciences formelles bien sûr, mais peut-être aussi certains textes de droit ou même… des recettes de cuisine. Aucune chance en revanche qu’un recueil de poésie soit traduit ainsi, du moins à moyen terme.
Cet article est paru dans Sciences Humaines (n° 310, janvier 2019)