Parler telle ou telle langue, ça change tout quand on apprend à compter. C’est ce que montre une étude publiée fin octobre dans la revue PNAS. Selon la façon dont le singulier et le pluriel sont définis, en effet, les enfants sont plus ou moins à l’aise avec les nombres. En slovène, notamment, le nombre « deux » a un statut spécial, car il a trois types d’accord : le singulier, le pluriel… et le duel ! On traduit par exemple « une langue » par « jezik », « deux langues » par « jezika » et « trois langues » ou plus par « jeziki ».
Même chose en arabe, les couples de deux objets exactement ont un accord spécifique. Un chercheur a donc comparé la capacité d’enfants à maîtriser ce nombre, par rapport à des anglophones qui ne connaissent – comme en français – que le singulier et le pluriel. Il a demandé à des groupes de petits Slovènes, Saoudiens, Britanniques et Américains de mettre deux objets dans une boîte ou de reconnaître qu’il y a deux éléments sur une image.
Les résultats sont sans appel : à 2 ans, près de la moitié des enfants slovènes et saoudiens comprennent ce qu’on leur demande et le font bien, contre seulement 4 % des jeunes Britanniques et Américains. Par comparaison avec des études précédentes, il semble que les performances des Slovènes soient également supérieures à celles des enfants russes, chinois ou japonais.
En revanche, les anglophones plus âgés surclassent les Slovènes dans la maîtrise des nombres plus grands, peut-être du fait de méthodes d’apprentissage différentes d’un pays à l’autre. Les auteurs de l’étude concluent donc que la structure de la langue peut faciliter la maîtrise des premiers chiffres, mais que les enfants font appel à d’autres facultés au-delà, qui ne dépendent plus du sens des mots dans leur langue. Comme quoi, plus on progresse en mathématiques, moins on est littéraire.
Cet article est paru dans Sciences humaines. Pour aller plus loin : Alhanouf Almoammer et al., « Grammatical morphology as a source of early number word meanings », PNAS, vol. CX, n° 46, 12 novembre 2013.