En Allemagne, le tribunal de Cologne a condamné mardi la circoncision d’un enfant pour des motifs religieux : « Cette modification est contraire à l’intérêt de l’enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse », note le jugement. Rabbin en exercice au Mouvement juif libéral de France, Yann Boissière dénonce une incompréhension et l’empiètement du pouvoir civil sur le religieux.
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Comment réagissez-vous à cette décision judiciaire ?
J’ai été frappé par tant d’incompréhensions. Quand j’entends dire que la circoncision est une blessure, une « atteinte à l’intégrité physique » de l’enfant, les bras m’en tombent. Il y a une mésentente totale sur les enjeux médicaux de cette pratique : un tiers de la population mondiale est circoncise, je ne crois pas savoir qu’elle se porte plus mal que la moyenne… Quand je lis que la circoncision va à l’encontre de la liberté de l’enfant, je trouve que c’est une approche étrange du concept d’éducation.
Comme le notait la philosophe Hannah Arendt, les parents doivent anticiper sur les choix de leurs enfants et prendre des décisions à leur place ; c’est à cette condition qu’ils pourront un jour devenir autonomes. En outre, ce jugement me semble un empiètement manifeste du pouvoir civil sur des prérogatives proprement religieuses. Il témoigne d’un laïcisme excessif, qui devient lui-même une forme de religion. Nous sommes tous d’accord pour défendre la laïcité et rejeter le principe d’une société fondée sur des principes religieux. Ne sombrons pas dans l’excès inverse. Le tribunal défend la liberté de l’enfant de choisir sa religion, le Conseil central des Juifs d’Allemagne celle des parents de dispenser une éducation religieuse.
Qu’est-ce qui doit primer, la liberté de l’enfant ou celle des parents ?
La liberté de l’enfant est garantie dans l’éducation religieuse. Les parents prennent certes pour lui la décision de le circoncire. Mais rien ne l’obligera pour autant, quand il sera en capacité de choisir, à aller à la synagogue ou aux cours d’éducation religieuse. Quand un couple laïc ou même athée oblige son enfant à apprendre le piano, le Taekwondo ou autre, c’est une façon d’anticiper sur la liberté qu’il aura de poursuivre ou non dans cette voie. Les parents font d’ailleurs des choix qui engagent le corps de l’enfant : l’emmener ou non à des cours de sport, accepter ou de refuser certains traitements médicaux, préférer un régime alimentaire à un autre… Toutes ces décisions laissent des traces, nous ne sommes pas de purs esprits !
À l’inverse, si des parents n’imposent rien, les enfants arrivent à la majorité sans rien savoir et ils sont finalement beaucoup moins libres que les autres… Nous ne devons pas nous faire d’illusions sur ce qu’est l’éducation. J’ajoute que, dans la tradition juive, le mérite de la circoncision revient à l’enfant. Certes, à l’âge de huit jours, il n’est pas vraiment en situation de responsabilité, mais c’est une position de principe. Le jugement ne condamne pas la circoncision pour des raisons médicales.
La santé pourrait-elle servir de prétexte au rituel ?
En pratique, ça serait possible. Mais ça reviendrait à vider la circoncision de sa substance. Là où une idéologie laïciste ne voit que le fait d’enlever un bout de chair, nous défendons une sagesse plusieurs fois millénaire, dont on retrouve déjà la trace dans l’ancienne Égypte. Pour le peuple juif, c’est le rituel le mieux respecté, jusque chez les laïcs. Son sens est non seulement religieux, médical, mais aussi identitaire. C’est un signe d’alliance et d’accomplissement : l’homme ne naît pas parfait et le devient à travers ce rituel.
Ça ne veut pas dire que la non circoncision marquerait la persistance d’une imperfection…Simplement, il faut savoir reconnaître des peuples différents, tributaires de missions différentes. Celle des Juifs est de reconnaître Dieu et de faire alliance avec lui. La circoncision est la marque de cette alliance. Le fait d’enlever quelque chose là où réside le pouvoir de procréation rapproche l’homme de Dieu, lui-même créateur de toutes choses. Ce rituel l’ouvre ainsi sur la dimension proprement spirituelle de la vie et le pousse à collaborer à l’œuvre d’amélioration du monde.