Archives de Tag: justice

« La justice déçoit d’autant plus qu’elle a été idéalisée »

Quelle vision les citoyens ont-ils de la justice en France ? Quelles sont leurs critiques et attentes ? Comment perçoivent-ils les peines et quelles inégalités dénoncent-ils ? Analyse avec Cécile Vigour, spécialiste de l’analyse des politiques publiques et de la sociologie de la justice et du droit au Centre Émile Durkheim. Cette interview est parue dans CNRS Le Journal.

Audience publique, octobre 2004. ©LUDOVIC/REA


Vous avez publié il y a quelques mois les résultats de deux vastes projets de recherche (1) sur la façon dont les citoyens perçoivent les institutions judiciaires (projets qui feront aussi l’objet d’un rapport pour la Mission de recherche Droit et Justice). Quelle idée nos concitoyens ont-ils de la justice ? 

Cécile Vigour (2) : C’est contrasté. D’un côté, ils en ont une représentation très idéalisée. Ils sont attachés à l’idée de justice, comptent beaucoup sur cette institution et considèrent qu’elle est un pilier du vivre-ensemble. En même temps, l’expérience qu’ils en ont est souvent décevante ou amère. L’institution apparaît comme distante, difficile à comprendre, réservée aux personnes qui ont de l’argent… Ils pensent spontanément qu’il vaut mieux maîtriser certains codes, être doté d’un capital financier, culturel ou social, pour obtenir gain de cause.

(…) beaucoup dénoncent un décalage entre un idéal de justice et son fonctionnement au quotidien, ainsi que des inégalités de traitement.

Même sans avoir lu Bourdieu, beaucoup reprennent ainsi à leur compte une critique très politique et sociale de la justice : elle serait un instrument de pouvoir au service des dominants, participant notamment à un système de reproduction des inégalités. Cela nous a surpris car aucune question de nos enquêtes n’était posée en ce sens. Nous demandions par exemple : « Qu’est-ce que la justice pour vous ? », « Que pensez-vous de son fonctionnement ? » Et le thème des inégalités arrivait très vite sur la table. Lire la suite

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La justice à l’heure des algorithmes et du big data

Les logiciels et les robots remplaceront-ils un jour les avocats, les notaires et les juges ? Pour les experts, si la tendance à l’automatisation et à l’accélération technologique change la donne, certaines prédictions relèvent encore de la science-fiction. Cet article est paru sur Le Journal du CNRS.

© THE LIGHTWRITER/FOTOLIA.COM

Une « justice prédictive », des contrats exécutés automatiquement grâce à des logiciels, des robots recrutés par des cabinets d’avocats… En quelques années, les innovations technologiques et numériques ont donné lieu à toute une série d’annonces fracassantes, laissant entendre notamment que l’ubérisation des professions juridiques et judiciaires serait en marche. Mais si certaines de ces innovations bouleversent l’exercice du droit, en automatisant certaines tâches et en accélérant les procédures notamment, beaucoup ont encore un caractère exploratoire, voire s’apparentent au fantasme.

D’une manière générale, le code informatique et l’intelligence artificielle paraissent encore loin de pouvoir se substituer à l’expertise humaine, mais ils ne sont pas pour autant sans impact sur les métiers juridiques et judiciaires. « C’est une question d’équilibre », résume Bruno Dondero, agrégé des facultés de droit et professeur à l’université Paris 1, estimant que beaucoup de croyances sur le sujet sont « trop enthousiastes ou au contraire trop insouciantes ». En pratique, ces professions comportent de nombreuses tâches paraissant pouvoir être automatisées. « Lorsqu’un avocat rédige un contrat par exemple, il se fonde généralement sur des modèles qu’il adapte en fonction des cas particuliers. On peut envisager qu’un logiciel, auquel on fournirait quelques informations spécifiques à l’affaire, génère lui-même ce document. »

Une justice « prédictive »

De fait, de nombreuses start-up ont récemment développé des solutions pour rédiger des documents juridiques, analyser une affaire à partir d’une recherche documentaire, ou encore estimer la probabilité de succès d’un procès. L’année dernière, le cabinet américain BakerHostetler a ainsi « engagé » le système d’intelligence artificielle Ross pour assister ses avocats en répondant à des questions sur la jurisprudence et en facilitant la recherche documentaire. « Ces systèmes ont leurs limites lorsque les affaires sont complexes ou ambiguës, poursuit Bruno Dondero, sinon une simple recherche sur Internet aurait déjà remplacé le métier d’avocat-conseil. » Pour autant, il envisage que, pour des cas classiques et bien connus, ces outils seront de plus en plus utilisés par les cabinets. « Honnêtement, le travail d’avocat consiste rarement à imaginer LA clause à laquelle personne n’avait jamais pensé. Et dans les faits, certains n’hésitent pas à copier-coller leurs modèles en changeant juste quelques détails… » Rien qu’une machine ne puisse effectuer.

À certains égards, la « justice prédictive » fonctionne suivant le même principe. Ces dernières années, plusieurs systèmes ont été développés, permettant de déterminer les probabilités de succès d’une affaire et de calculer les éventuels dommages et intérêts, en tenant notamment compte des décisions antérieures du juge appelé à statuer. « Contrairement à ce qu’on entend, il ne s’agit pas de “remplacer” les avocats », tempère Thomas Saint-Aubin, chercheur associé à l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne et directeur de la recherche et du développement chez Seraphin Legal.

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« Le droit n’est jamais impuissant »

Du 30 janvier au 2 février, les principaux chercheurs et acteurs du droit seront réunis pour imaginer la justice du XXIe siècle, lors des États généraux de la recherche sur le droit et la justice. À l’heure du numérique, de la mondialisation et du terrorisme, l’historienne du droit Florence Renucci nous présente les grandes lignes de cet événement. Cette interview est paru sur Le Journal du CNRS.

Les juges de la Cour Europeenne des Droits de l'Homme © F. MAIGROT/REA

Les juges de la Cour Europeenne des Droits de l’Homme © F. MAIGROT/REA

Du 30 janvier au 2 février, les principaux chercheurs et acteurs du droit seront réunis pour imaginer la justice du XXIe siècle, lors des États généraux de la recherche sur le droit et la justice. À l’heure du numérique, de la mondialisation et du terrorisme, l’historienne du droit Florence Renucci nous présente les grandes lignes de cet événement.

Quels sont les enjeux des États généraux de la recherche sur le droit et la justice qui débutent lundi prochain ?
Florence Renucci :
L’idée est de permettre à tous les acteurs du monde judiciaire de réfléchir ensemble aux grandes problématiques d’aujourd’hui et de demain. À l’origine, la « Mission de recherche Droit et Justice » a été créée en 1994, sous forme de groupement d’intérêt public. Il s’agissait de créer une passerelle entre le monde de la recherche et le ministère de la Justice, mais qui ne soit pas subordonnée à ce dernier – pour ne pas être « juge et partie »… Ce groupement a organisé une grande manifestation sur l’avenir de la recherche juridique en 2005, publié sous forme de recueil deux ans plus tard. Nous avons souhaité rééditer cet événement de façon plus globale, en collaboration avec le secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche : durant quatre jours, nous allons tenter de faire un bilan de ces quelque dix dernières années de recherche, mais aussi aborder les questions émergentes et les pratiques judiciaires tentant d’y répondre. Nous allons également réfléchir à la formation des juristes et à l’enseignement du droit, en France et dans le monde. Lire la suite

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Le management selon… Pascal !

« La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique » : en quoi cette citation du philosophie Blaise Pascale, extraite de ses Pensées, permettrait d’améliorer la pratique managériale ? Éléments de réponse dans Management (n° 241, mai 2016). Retrouvez également les conseils du stratège et philosophe chinois Sun Tzu dans L’art de la guerre.

pascal

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Le management selon… Platon

« Mieux vaut subir l’injustice plutôt que de la commettre » : en quoi cette citation du Gorgias de Platon pourrait enrichir la pratique managériale ? Éléments de réponse dans Management (n° 216,  février 2014).

© Catherine Meurisse

© Catherine Meurisse

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La radicalisation à l’aune du Léviathan

Moins les individus nourrissent de valeurs communes, plus l’État serait en péril : l’idée défendue par Hobbes permet peut-être de mieux comprendre la montée des mouvements de contestation.

Sur www.lyoncapitale.fr. Pour télécharger le podcast, cliquez ici.

Jugon-les-Lacs, 9 nov. 2013 © Jean-François Monier/AFP

Jugon-les-Lacs, 9 nov. 2013 © Jean-François Monier/AFP

“Radicalisation” : le mot est sur toutes les lèvres à mesure que la fronde sociale s’amplifie. La multiplication des plans sociaux pousse beaucoup de salariés dans la rue. Des indépendants de tous bords (artisans, agriculteurs, entrepreneurs…) rallient les “bonnets rouges” contre les derniers projets de réforme fiscale. Le traitement politico-médiatique de l’immigration – affaire Leonarda en tête – semble ulcérer tout le monde, même pour des raisons totalement opposées. Des actions plus isolées témoignent également d’un malaise général, notamment lorsque le bijoutier de Nice tua un braqueur d’une balle dans le dos et reçut 1 600 000 soutiens via une pétition sur Facebook.

Les préfets sonnent l’alarme. Dans une note révélée par Le Figaro, ils décrivent “une société en proie à la crispation, à l’exaspération et à la colère”, un “climat douloureux” et même “un sentiment d’accablement” dans tous les départements. Les revendications sont de plus en plus “portées en dehors du cadre syndical, observent-ils, à travers des actions plus radicales : grèves de la faim, blocage de longue durée, dégradation et menaces de perturbation de grandes manifestations culturelles ou sportives ont pris le pas sur les défilés en ville”.

“Ce qui affaiblit l’État”

Difficile de faire le tri dans les multiples raisons envisageables – crise économique et sociale, disparition de repères traditionnels… On peut en revanche consulter un grand classique de la philosophie politique, généralement au programme du bac d’ailleurs : le Léviathan de Thomas Hobbes. Dans un chapitre intitulé “De ce qui affaiblit l’État ou tend à sa dissolution”, il entreprend d’inventorier l’ensemble des causes pouvant conduire au conflit social, voire à la guerre civile. Certains passages de ce texte, publié en 1651, résonnent de façon étonnante avec l’actualité. Lire la suite

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La loi des robots

Les machines sont de plus en plus autonomes — « libres », diront certains —, obligeant le législateur à adapter la loi. Inutile de regarder un film de science-fiction, ça se passe aujourd’hui !

Une nouvelle catégorie juridique pourrait attribuer droits et devoirs aux "personnes robots"

Une nouvelle catégorie juridique pourrait attribuer droits et devoirs aux « personnes robots »

J’ai traduit et adapté cet article de Richard Fischer, publié dans la revue New scientist à l’origine, pour Le Monde des sciences (n°11, décembre – janvier 2014). Pour commander le magazine en ligne, cliquez ici.

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« Avec la circoncision, nous défendons une sagesse plusieurs fois millénaire »

En Allemagne, le tribunal de Cologne a condamné mardi la circoncision d’un enfant pour des motifs religieux : « Cette modification est contraire à l’intérêt de l’enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse », note le jugement. Rabbin en exercice au Mouvement juif libéral de France, Yann Boissière dénonce une incompréhension et l’empiètement du pouvoir civil sur le religieux.

Sur www.lemondedesreligions.fr

© Menahem Kahana / AFP

Comment réagissez-vous à cette décision judiciaire ?

J’ai été frappé par tant d’incompréhensions. Quand j’entends dire que la circoncision est une blessure, une « atteinte à l’intégrité physique » de l’enfant, les bras m’en tombent. Il y a une mésentente totale sur les enjeux médicaux de cette pratique : un tiers de la population mondiale est circoncise, je ne crois pas savoir qu’elle se porte plus mal que la moyenne… Quand je lis que la circoncision va à l’encontre de la liberté de l’enfant, je trouve que c’est une approche étrange du concept d’éducation.

Comme le notait la philosophe Hannah Arendt, les parents doivent anticiper sur les choix de leurs enfants et prendre des décisions à leur place ; c’est à cette condition qu’ils pourront un jour devenir autonomes. En outre, ce jugement me semble un empiètement manifeste du pouvoir civil sur des prérogatives proprement religieuses. Il témoigne d’un laïcisme excessif, qui devient lui-même une forme de religion. Nous sommes tous d’accord pour défendre la laïcité et rejeter le principe d’une société fondée sur des principes religieux. Lire la suite

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ÉTATS-UNIS : du droit de tuer ?

CC / lifecreations

Prix Nobel de la paix, le président Obama donne le feu vert aux assassinats ciblés. Une note secrète du ministère de la justice, révélée par le New-York Times samedi 8 octobre, donne une justification légale au meurtre sans procès d’Anouar Al-Aulaqi, un imam considéré comme le chef de la branche yéménite d’Al-Qaida.

S’il y a toujours eu des morts arbitraires en temps de guerre, c’est la première fois qu’un cadre juridique vient appuyer la possibilité d’une exécution sommaire. Cet assassinat serait licite, dès lors qu’Anouar Al-Aulaqi ne pouvait pas être arrêté vivant et faisait peser un risque imminent sur des innocents, détaille le mémorandum. Lire la suite

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