Pourquoi craque-t-on pour les chatons mignons ?

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n° 355 – Février 2023). À lire pour aller plus loin : Trop mignon ! Mythologies du cute, Vincent Lavoie (Alpha, 2022), et Le Pouce du panda, Stephen Jay Gould (1979)

Succès monstre de l’été dernier, Stray est un jeu vidéo permettant d’incarner un chat roux aux grands yeux verts. On déambule à pas feutrés dans une ville futuriste, en bondissant avec grâce de toits en gouttières. On se fait caresser le dos par un robot en ronronnant, on saute sur les cuisses d’un employé de bureau, on fait tomber un objet du bout de la patte pour attirer son attention… Cerise sur le souriceau : le joueur peut appuyer sur un bouton pour faire « miaou » à l’écran. Mais pourquoi craque-t-on ? Dans son essai sur le « mignon », l’historien de l’art Vincent Lavoie cherche l’origine de cet attachement.

Avec l’essor de la société de consommation, constate-t-il, les productions culturelles sont envahies de personnages enfantins et charmants depuis les années 1960 – à l’image de Mickey Mouse, des poupées Barbie ou des Pokémon. Au tournant des années 2000, les vidéos de chatons déferlent sur YouTube, imposant le félin aux yeux en amande comme roi du Web. Ce succès rappelle celui du kitsch au début du 20e siècle, souligne V. Lavoie : dans les deux cas, des motifs culturels classiques sont réemployés pour agrémenter des objets triviaux. Cette démarche les rend accessibles à un large public, au risque d’une surcharge esthétique leur valant aussi d’être taxés de mauvais goût.

À la différence du kitsch cependant, la passion du mignon pourrait être ancrée dans notre histoire biologique. Selon l’éthologue Karl Lorenz, l’évolution naturelle aurait favorisé les humains les plus enclins à aimer les enfants : ils s’en occupent mieux, ont donc plus de chances d’avoir de nombreux descendants et de devenir majoritaires au sein de leur espèce… Nous serions ainsi naturellement attirés par les morphologies enfantines.

Le paléontologue Stephen Jay Gould le confirme dans un article en hommage à Mickey Mouse, publié en 1979 : pour conquérir un public de plus en plus large, la souris emblématique de Disney a été rajeunie au fil des décennies. Sa boîte crânienne s’est bombée, ses yeux sont devenus plus volumineux, sa mâchoire et ses membres ont rapetissé, rapprochant sa physiologie de celle d’un enfant de 3 ans. « Keep it cute » (« Gardez-le mignon ») était d’ailleurs le mot d’ordre de Disney à l’époque. Cette explication vaut pour les souris de dessins animés comme pour les chats (ne leur répétez pas), et permet aussi de comprendre pourquoi les chatons auront toujours plus de succès que les vieux matous.

L’évolution de Mickey Mouse sur cinquante ans. Ce dessin est utilisée par S. Jay Gould pour illustrer son analyse.
Publicité

Poster un commentaire

Classé dans Philosophie, Pop culture, Psychologie

Les commentaires sont fermés.