À propos de Homo sapiens dans la cité. Comment adapter l’action publique à la psychologie humaine, Coralie Chevallier et Mathieu Perona, Odile Jacob, 2022 (286 p., 22,90 €). Cette critique est parue dans Sciences humaines (n° 347, mai 2022).

Nous ne sommes pas parfaits. Homo sapiens dans la cité critique l’idée, fondamentale en théorie économique, selon laquelle les humains sont des individus rationnels cherchant constamment à maximiser leurs profits. Si ce modèle était conforme à la réalité, nous ne serions pas imprévisibles et adopterions peu de comportements contraires à notre intérêt, comme fumer, jouer au casino malgré les statistiques ou négliger une aide publique dont nous aurions bien besoin.
Ainsi, soulignent Coralie Chevallier et Mathieu Perona, « 30 % des allocations sociales ne sont pas perçues, 36 % des personnes ciblées par le revenu de solidarité active n’en bénéficient pas, et plus de 50 % des bénéficiaires d’aide à la complémentaire santé ne la perçoivent pas ».Pour expliquer ces comportements, à première vue irrationnels, les auteurs en appellent à la psychologie cognitive et à l’économie comportementale. De leur point de vue, les humains ont tendance à privilégier les raisonnements rapides, utiles à première vue, mais simplistes et régulièrement faux, plutôt que les analyses laborieuses, mettant en jeu des intérêts de long terme, mais généralement plus exactes et conformes à la réalité. L’originalité de cet ouvrage n’est pas de rappeler cette thèse, déjà exposée par l’économiste Daniel Kahneman, mais d’en faire un enjeu de politique publique.
Plutôt que de chercher à modifier les comportements des individus en misant sur le fait qu’ils y gagneraient, la puissance publique devrait concevoir des actions intégrant « pleinement le fonctionnement réel de la cognition ». Autrement dit, l’enjeu ne serait pas tant de « modifier la nature humaine » que d’y adapter la politique. Si l’on reprend le recours aux aides sociales, les enquêtes montrent que la complexité administrative est un frein considérable : une simplification drastique, utilisant des formulaires préremplis par exemple, améliore presque mécaniquement la situation des familles des ayants droit. Multipliant les constats et propositions en ce sens, Homo Sapiens dans la cité interpelle les politiques et les invite à réformer leur approche. Ce biais militant a d’ailleurs l’inconvénient de laisser moins de place à la discussion et à la justification des idées qui sont avancées, mais il rend la lecture de ce livre plus alerte, facile et immédiatement compréhensible.