
La théorie dite de « la descente du larynx », supposée expliquer que les humains puissent parler mais pas d’autres grands singes, a été été largement adoptée avant d’être remise en question depuis une quinzaine d’années. © Laboratoire de psychologie cognitive (CNRS/Aix-Marseille Université) et GIPSA-lab (CNRS/Université Grenoble Alpes)
Une parole en l’air ne laisse pas de trace. Difficile, donc, de savoir quand l’humanité s’en est emparée ! Spécialistes en sciences du langage et primatologues ont longtemps estimé qu’elle était apparue il y a 200 000 ans : l’anatomie humaine s’est modifiée à cette époque, ce qui nous aurait permis d’articuler des consonnes et des voyelles comme aucune autre espèce d’hominidé. Cette thèse repose sur la « théorie de la descente du larynx », défendue par le chercheur américain Philip Lieberman à partir de 1969. Selon lui, les autres grands singes n’arrivaient pas à parler à cause de leur conduit vocal : leur larynx semblait situé trop haut pour qu’ils puissent produire différentes voyelles. Or celles-ci sont présentes dans la totalité des langues du monde et semblent nécessaires à la parole. Chez les humains, au contraire, le larynx serait descendu et se serait élargi au fil de l’évolution, leur permettant d’utiliser des voyelles et donc de parler.
La parole prend un coup de vieux
Cette théorie, d’abord largement adoptée, est remise en question depuis une quinzaine d’années. Ainsi, d’après un ensemble d’études synthétisées en décembre 2019 dans la revue Science Advances, les chimpanzés produiraient bien des « protovoyelles différenciées », autrement dit des sons qui, s’ils ne sont pas exactement des « a », des « i » ou des « u », ont une signature acoustique comparable. P. Lieberman ne pouvait pas le savoir en son temps, faute de posséder les outils et techniques d’analyse actuels. La parole prend du même coup un sacré coup de vieux ! Elle pourrait avoir émergé lorsque notre espèce et celle des autres grands singes ont divergé, soit il y a quelque 20 millions d’années. Elle relèverait moins d’une question d’anatomie que du contrôle des articulateurs – comme la langue ou les lèvres – et d’autres facteurs qui restent à dévoiler.
Cet article est paru dans Sciences Humaines (n° 324, avril 2020). Rendez-vous sur le site pour découvrir plus d’articles et d’actualités de la recherche. À lire également : Louis-Jean Boë et al., « Which way to the dawn of speech. Reanalyzing half a century of debates and data in light of speech science », Science Advances, 11 décembre 2019.