Rien de plus improbable que les « modes antisystèmes » : ces collections de vêtements dites « punk », « hippie » ou encore « gothique », qui fleurissent dans les vitrines des magasins branchés… Si la contradiction est évidente, elle s’appuie désormais sur une démonstration mathématique et statistique : d’après un article du neuroscientifique Jonathan Touboul, du Collège de France, les personnes qui cherchent absolument à se différencier finissent nécessairement par se ressembler. C’est ce qu’il appelle « l’effet hipster », en référence à la dernière mode vestimentaire se voulant paradoxalement hors tendance – barbe plus longue que les cheveux, jean moulant, chemise à carreaux et T-shirt « chic décontracté ».
Pour expliquer qu’une envie de se distinguer se mue en processus d’uniformisation, le chercheur a tout simplement tenu compte du temps : il en faut tellement pour savoir quelle est la tendance dominante – et donc pouvoir prendre le contre-pied de celle-ci – que l’on ne peut le faire que ponctuellement. Une fois que ce choix est arrêté, une longue période est nécessaire pour refaire le point. En attendant, la décision « anticonformiste » est faute de mieux répétée, de plus en plus et par une population croissante, jusqu’à constituer elle-même un phénomène de mode. J. Touboul résume le mécanisme en en formule mathématique :
« Outre le choix de votre T-Shirt pour cet hiver, plaisante le chercheur, cette étude peut nous aider à mieux comprendre la dynamique qui régit les circuits d’inhibition du cerveau, les stratégies d’investissement en finance ou encore les dynamiques émergentes en sciences sociales. » Un trader par exemple est également quelqu’un qui essaie de se positionner de façon subtile contre la tendance dominante, tout en raisonnant de la même façon que n’importe quel acteur des marchés financiers – et en utilisant souvent les mêmes logiciels de calcul… Une stratégie « aussi réaliste qu’une licorne », ironise J. Touboul.
Jonathan Touboul, « The Hipster effect. When anticonformists all look the same », publié sur le site du Collège de France le 30 octobre 2014. Article paru dans Sciences Humaines.