L’amour en festival

Plus d’une trentaine de manifestations consacrées 
à « l’amour » se sont déroulées au Festival Philosophia, dans le cadre idyllique de Saint-Émilion…

Ce reportage est paru dans Sciences Humaines (n° 262, août – septembre 2014).

© Gilles Massicard

© Gilles Massicard

Une foule dense se masse devant le couvent des Jacobins à Saint-Émilion, obstruant la circulation dans cette artère de la cité médiévale – il faut presque jouer des coudes pour approcher ! Pourtant, ce n’est pas une dégustation gratuite de grands crus, ni le pèlerinage d’une star du rock suivie d’une foule de fans. C’est juste… de la philosophie. Chaque mois de mai à Saint-Émilion, entre 3 000 et 5 000 personnes gagnent la ville pour assister au festival Philosophia. Cette année, peut-être encouragées par le soleil d’été qui règne sur l’Aquitaine, ou par le thème retenu pour la huitième édition – l’amour –, elles semblaient bien plus nombreuses. Les conférences et ateliers étaient bondés tout le week-end, il fallait arriver tôt pour trouver une place.

Si l’on discerne un bon nombre d’étudiants en sciences humaines dans le public – en histoire, esthétique, sociologie… et philosophie, bien sûr –, l’écrasante majorité des participants est constituée d’amateurs plus ou moins autodidactes : des retraités pour l’essentiel, plus rarement quelques familles. C’est d’ailleurs pour ces néophytes éclairés que le festival est conçu. Contrairement à des événements d’inspiration plus universitaire, comme Citéphilo à Lille, ou Les Rencontres philosophiques de Langres, les organisateurs de Philosophia entendent divertir un très large public.


Cigales et fourmis

C’est pourquoi le festival est ouvert à tous et entièrement gratuit, depuis sa création en 2007. Libre aux dilettantes d’écouter une conférence, puis de visiter une cave à vin ou le vieux clocher de l’église monolithe, avant de retourner à un atelier de philosophie pratique. Cette liberté de circulation attire des curieux venus de toute la région, et des passionnés de tout l’Hexagone. Ces derniers se reconnaissent à leur comportement de fourmi, organisant minutieusement leur emploi du temps pour ne manquer aucun intervenant, et négligeant parfois de visiter le reste de la ville.

« On peut très bien rester accessible et apporter du fond », résume le créateur du festival, Éric Le Collen. Et il n’est pas nécessaire de verser dans le star-system pour attirer du monde : si des vedettes telles que Luc Ferry, Raphaël Enthoven ou encore Edgar Morin font salle comble chaque année, des conférenciers moins médiatiques, voire inconnus, composent le gros des intervenants, et recueillent systématiquement des trombes d’applaudissements. Cette année, par exemple, la philosophe Souâd Ayada a donné une conférence fascinante sur l’amour dans la mystique islamique, tandis que Matthieu Niango proposait une relecture du marquis de Sade sur ce thème – pour ne citer qu’eux…

All you need is love

Au centre des interventions du cru 2014, donc, l’amour : engagement éternel ou illusion ponctuelle, sentiment universel ou stéréotype culturel, source d’aliénation ou d’émancipation… ? Les intervenants ont décliné ces questions sous de multiples variantes. Olivia Gazalé, auteure de Je t’aime à la philo, a ainsi fait rire son auditoire en se demandant si le mariage et le passage chez Ikea n’arrivaient pas toujours un peu trop vite. Sophie Guérard de Latour, maître de conférences à l’université Paris‑I, a déstabilisé tout le monde en s’interrogeant sur le patriotisme – peut-on aimer sa nation comme on aime quelqu’un ? Ruwen Ogien, qui présentait pour la première fois son prochain livre, a passé ce sentiment au crible de la critique rationaliste, avançant que nos conceptions de l’amour sont autant d’idées reçues auxquelles nous ferions semblant de croire…

Une intervention rafraîchissante d’ailleurs : à part lui, ces grands esprits semblent avoir du mal à parler d’amour sans trémolos dans la voix et ni étincelles plein les yeux. C’est peut-être le paradoxe fondamental de ce sentiment aujourd’hui : on a mille raisons de penser qu’il est illusoire, excessif ou caricatural – comme l’a encore rappelé l’intervention de la neuroscientifique Lucy Vincent sur le rôle des hormones dans le développement des émotions. Pourtant, chacun semble avoir envie d’y croire. C’est un formidable espoir, pouvait-on penser en ressortant – une « promesse de bonheur », à l’instar de la beauté dépeinte par Stendhal.

In vino veritas

L’autre originalité de ce festival, ce sont les ateliers proposés tout au long du week-end. Le philosophe praticien Oscar Brenifier organise des consultations individuelles : sorte de dialogues socratiques à vocation thérapeutique, dont l’enjeu est d’apprendre à mieux se connaître. Plus artiste dans l’âme, la créatrice de l’association Philoland, Sophie Geoffrion, improvise une pièce de théâtre à partir de textes sur le désir, ainsi que des ateliers d’expression corporelle pour les enfants. Les professeurs Mathieu Accoh et Lionel Fauré-Corréard, eux, mettent en place un « laboratoire expérimental de philosophie concrète ». Le deuxième soir, par exemple, ils ont diffusé des extraits de films grand public – Le Patient anglais, La Rupture, Les Gamins… – en demandant à l’audience quelle conception de l’amour chacune de ces œuvres révélait.

Mais l’atelier qui chaque année rencontre un succès fou, évidemment, c’est la dégustation philosophique de vin… En compagnie de vignerons, de philosophes et parfois d’œnologues, le dimanche matin est généralement consacré à la découverte des grands crus de la région. On peut d’ailleurs coupler avec une marche spirituelle à travers la cité et les abords du village. De Pline l’Ancien à Søren Kierkegaard en passant par Blaise Pascal, nombreux sont les philosophes ayant clamé « in vino veritas », (« dans le vin, la vérité »). Au pays du Château Pétrus et du Cheval blanc, l’adage est on ne peut plus vrai quelques jours par an.

Les vidéos du festival sont sur http://philosophies.tv !

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