C’est une première en France : les textes de Liu Xiaobo, dissident chinois et prix Nobel de la paix, paraissent chez Gallimard sous le titre : La philosophie du porc et autres articles. Figure de proue de la charte 08 – un manifeste publié fin 2008 qui appelait à une démocratisation de la Chine -, ce militant des droits de l’homme est aujourd’hui en prison pour « subversion » et incitation à la révolte.
Selon Zhang Lun, sociologue et économiste, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, auteur de La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao (Fayard, 2003), Liu Xiaobo est à la pointe de la transition démocratique en Chine :
Quelles sont les idées défendues par Liu Xiaobo?
Elles pourraient vous sembler banales! Les aspirations de Liu Xiaobo sont résumées dans la charte 08. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’obtenir la liberté d’expression, des élections libres, l’équilibre et la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l’Homme… Ça n’a rien d’extraordinaire aux yeux des Occidentaux, mais ça passe pour menaçant et répréhensible aux yeux du gouvernement chinois. En même temps, je pense que Liu Xiaobo puise une partie de ses ressources spirituelles dans le confucianisme. C’est aussi cela qui le pousse à agir contre l’injustice, pour une société plus libre et harmonieuse. Il est comme ces intellectuels français qui ne sont pas chrétiens, mais qui restent influencés par le christianisme du fait de leur histoire. En Chine aussi, même les intellectuels qui s’approprient des idées d’origine occidentale s’appuient sur un arrière fond confucéen.
Que représente ce courant de pensée en Chine?
C’est une tendance libérale née entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, quand les lettrés de la Chine impériale sont devenus des intellectuels modernes. Avant, les hommes d’esprits étaient formés dans le seul cadre du confucianisme et n’avaient, pour ainsi dire, pas d’autre rôle à jouer que celui du bon fonctionnaire et gentilhomme. Ils pouvaient critiquer le pouvoir en place, ils en avaient même le devoir : par convention, chacun admettait que la politique pouvait se perfectionner. Mais cette liberté de parole était tenue par une vision confucéenne du monde, qui tend vers la reconstitution d’une harmonie idéale. Cela change à la fin du XIXe siècle, quand la Chine met un pied dans la modernité. Les intellectuels commencent à défendre d’autres valeurs : le raisonnement, l’argumentation, l’individualisme, l’universalisme… Bref, la liberté de pensée hors des cadres fixés par la tradition. Liu Xiaobo est issu de cette mouvance. Il est apparu sur le devant de la scène dans les années 80, après la révolution culturelle, dans le cadre d’un mouvement que l’on comparait d’ailleurs aux philosophies des lumières en Europe. Il incarne parfaitement l’entrée de la Chine dans la modernité, processus à mon avis encore inachevé aujourd’hui.
Les idées de Liu Xiaobo sont-elles inadaptées à la Chine, comme l’affirment ses détracteurs?
Ce ne sont plus des valeurs dites exogènes, comme un produit occidental qui serait importé sur place. Ce courant de pensée est ancré dans l’histoire et la culture du peuple chinois. Le maoïsme a tenté de les étouffer dans la seconde moitié du XXe siècle, sans toutefois y parvenir. Au contraire, cette expérience tragique du totalitarisme a conforté une large partie du peuple dans son aspiration à plus de démocratie et de liberté. Aujourd’hui encore, malgré la résurgence de tendances maoïstes et nationalistes, je pense que le courant réformateur est dominant. Allez à la rencontre d’un paysan spolié par le gouvernement chinois, et vous verrez s’il ne souhaite être davantage respecté dans ses droits! Le discours nationaliste du régime en place est un leurre. Comme le disait Liu Xiaobo dans les années 90, alors qu’il comparait la situation des dissidents en Chine à celle des premiers chrétiens sous l’empire romain : quand le moment vient de changer les choses, les tenants de l’ordre moral s’inventent des bataillons.
Pour aller plus loin :
– Liu Xiaobo, La philosophie du porc et autres articles (Gallimard, 2011)
– Zhang Lun, La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao (Fayard, 2003)