À mi-chemin entre le témoignage, l’autobiographie et l’essai introspectif, le dernier ouvrage du psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron peut dérouter au premier abord. L’auteur part d’une anecdote : apprenant que la Légion d’honneur doit lui être remise, il éprouve une gêne, une incompréhension et même une légère honte à être récompensé. Étonné par cette réaction, il tente de remonter à l’origine de son malaise et examine alors ses souvenirs d’enfance, ses premiers textes et dessins, ou encore ses travaux de recherche.
Et l’on se prend au jeu : suivre un spécialiste de l’esprit explorer les méandres du sien s’avère assez captivant. S. Tisseron montre notamment comment la honte peut infuser dans un cercle familial et se transmettre à travers des attitudes, des réponses évasives aux questions de l’enfant ou encore une ambiance appesantie par les tabous et les secrets de famille. Est-ce un hasard, d’ailleurs, si l’auteur a consacré ses premières publications à ces sujets ?
On peut certes regretter que S. Tisseron colle d’aussi près à son histoire personnelle et néglige toute mise en perspective ou presque : le ton est loin d’être académique. Les concepts psychanalytiques mobilisés ne sont quasiment pas définis, par exemple. Pour autant, cet essai conserve bien une portée générale, au-delà des souvenirs personnels, des anecdotes et des révélations que livre l’auteur sur sa propre histoire. S. Tisseron donne en effet à voir une démarche psychanalytique en acte. Plus qu’une plongée en un for intérieur, celle-ci apparaît davantage comme une relecture de faits et gestes dont la cohérence et l’interconnexion lui échappaient jusque là. Ainsi, les souvenirs qu’il convoque deviennent des hypothèses susceptibles de donner du sens au présent.
Mort de honte, Serge Tisseron, Albin Michel, septembre 2019, 216 p., 17 €. Cette critique est parue dans Sciences Humaines (n° 318, octobre 2019)