Archives de Tag: psychanalyse

Mort de honte

À mi-chemin entre le témoignage, l’autobiographie et l’essai introspectif, le dernier ouvrage du psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron peut dérouter au premier abord. L’auteur part d’une anecdote : apprenant que la Légion d’honneur doit lui être remise, il éprouve une gêne, une incompréhension et même une légère honte à être récompensé. Étonné par cette réaction, il tente de remonter à l’origine de son malaise et examine alors ses souvenirs d’enfance, ses premiers textes et dessins, ou encore ses travaux de recherche.

Et l’on se prend au jeu : suivre un spécialiste de l’esprit explorer les méandres du sien s’avère assez captivant. S. Tisseron montre notamment comment la honte peut infuser dans un cercle familial et se transmettre à travers des attitudes, des réponses évasives aux questions de l’enfant ou encore une ambiance appesantie par les tabous et les secrets de famille. Est-ce un hasard, d’ailleurs, si l’auteur a consacré ses premières publications à ces sujets ?

On peut certes regretter que S. Tisseron colle d’aussi près à son histoire personnelle et néglige toute mise en perspective ou presque : le ton est loin d’être académique. Les concepts psychanalytiques mobilisés ne sont quasiment pas définis, par exemple. Pour autant, cet essai conserve bien une portée générale, au-delà des souvenirs personnels, des anecdotes et des révélations que livre l’auteur sur sa propre histoire. S. Tisseron donne en effet à voir une démarche psychanalytique en acte. Plus qu’une plongée en un for intérieur, celle-ci apparaît davantage comme une relecture de faits et gestes dont la cohérence et l’interconnexion lui échappaient jusque là. Ainsi, les souvenirs qu’il convoque deviennent des hypothèses susceptibles de donner du sens au présent.

Mort de honte, Serge Tisseron, Albin Michel, septembre 2019, 216 p., 17 €. Cette critique est parue dans Sciences Humaines (n° 318, octobre 2019)

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Classé dans Psychologie

Nouvelle charge contre Françoise Dolto

Le psychologue Didier Pleux publie un essai sur la pédagogie que défendait Dolto, n’hésitant pas à pointer du doigt son parcours personnel pour critiquer ses idées. Polémique en vue.

Sur www.lyoncapitale.fr

Dolto_medium

La Déraison pure, c’est le titre choc du nouvel essai de Didier Pleux consacré à Françoise Dolto, paru ce mercredi 16 octobre. Cinq ans après un premier tir où il critiquait la conception de l’éducation de la célèbre pédiatre, ce psychologue entend réexaminer cette théorie à l’aune de la biographie, autrement dit juger si la vie de Françoise Dolto est en contradiction avec son œuvre ou si, à l’inverse, elle permettrait d’expliquer des prises de position que Didier Pleux juge déconnectées de la réalité éducative.

Question de méthode

Didier Pleux s’est principalement appuyé sur les dits et écrits de la psychanalyste, et sur sa correspondance. Tout est vérifiable et précisément référencé, bien que certaines sources soient contestées. Il se réfère notamment à l’Autoportrait d’une psychanalyste, paru en 1989 au Seuil, un ouvrage “attribué à tort à Dolto”, selon Élisabeth Roudinesco : “Il s’agit d’un enregistrement réalisé à la va-vite par deux psychanalystes, un mois avant sa mort alors qu’elle était sous assistance respiratoire. Elle dit n’importe quoi” (Elle, 11/10/13). Ce recueil est néanmoins dans toutes les librairies, édité sans mise en garde particulière ; et s’il reprend des propos qui en sont issus, Didier Pleux n’a rien inventé.

La méthode fait grincer des dents : l’auteur est accusé de juger la personne plutôt que son œuvre et de se livrer à un procès d’intention. Lire la suite

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Classé dans Histoire, Lyon Capitale, Philosophie, Psychologie, Société

« La religion peut soulager un meurtrier »

Sur Le Monde des religions

Dans son dernier livre, la psychanalyste et philosophe Sophie de Mijolla-Mellor s’interroge sur ce qui pousse un individu à tuer, la fascination que cet acte suscite et les interractions possibles avec des croyances spirituelles.

CC / h.koppdelaney

Qu’est-ce qui pousse un homme à tuer?

Nous avons beaucoup de mal à le saisir. Souvent, les médias parlent d’ailleurs d’un acte « incompréhensible » ou « barbare », tandis que la psychopathologie est immédiatement dans une logique de « diagnostic ». L’acte paraît impensable dans notre contexte civilisé. Pourtant, la pulsion de tuer existe au même titre que la pulsion sexuelle par exemple. Le commandement religieux « Tu ne tueras point » n’aurait pas de sens autrement.

Dans mon essai La Mort donnée, je distingue les meurtres collectifs, comme les guerres ou les massacres, et ceux qui sont commis par un homme. Dans le second cas, je propose trois grilles de lecture : tuer pour l’emprise -c’est-à-dire par ivresse de la toute puissance-, tuer pour survivre et tuer pour protéger son identité. Lire la suite

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Onfray repart à l’assaut de la psychanalyse

Sur www.philomag.com

Suite et fin du débat ? Les éditions Grasset annonce la publication, le 3 novembre, d’une Apostille au crépuscule, un essai de Michel Onfray supposé résumer et conclure la polémique née avec Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne. Le nouvel opus se présente comme un essai « pour une psychanalyse non freudienne », qui s’inspire de Wilhelm Reich, Pierre Janet, Gilles Deleuze et Félix Guattari, Jacques Derrida. De quoi… relancer le débat.

Sur le même sujet :

« En finir avec Freud ? Le débat Onfray – Miller » : à (re)lire dans Philosophie magazine n°36 en complément d’un dossier sur Freud, sur Philomag.com et à regarder en vidéo sur Philosophies.tv (1ère et 2ème parties)

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Classé dans Philosophie, Psychologie, Société

L’empathie au cœur du jeu social

L’empathie au cœur du jeu social, Serge Tisseron, Albin Michel, 2010. Résumé et critique sur www.evene.fr

C’est un livre étonnant. Serge Tisseron manie les paradoxes avec aisance, mais aussi les évidences. C’est ce qui fait la richesse de cet essai : les thèses développées sont accessibles, parce qu’elles s’appuient sur des choses simples. En même temps, l’auteur montre les limites ou l’incomplétude de certaines idées reçues.

Par exemple : l’empathie ne se limite pas à la capacité de se mettre à la place de quelqu’un pour le comprendre. Elle est aussi le fait d’accepter que l’autre s’intéresse à nous. Ainsi, celui qui rétorque « de quoi tu te mêles ? » peut manquer d’empathie au même titre qu’une personne qui n’a pas de considération pour son entourage. Serge Tisseron part de ce constat pour définir une troisième forme d’empathie, où deux personnes se révèlent à elles-mêmes grâce au regard de l’autre.

Outre cette démonstration en trois temps, l’intérêt du livre est aussi de s’arrêter sur des cas concrets, issus de la culture populaire : films grands publics, émissions de télé réalité, jeux vidéo… Une fois n’est pas coutume dans un essai de sciences humaines, l’usage qui est fait de ces exemples ne semble pas artificiel. L’analyse est suffisamment détaillée pour aller au-delà d’une simple évocation. Elle témoigne d’une réelle connaissance des cas choisis. Cet effort d’ouverture s’inscrit dans un souci pédagogique plus large d’être compris. Le nombre de pages consacrées à la télévision et aux jeux vidéo est peut-être trop important en comparaison du reste, mais l’analyse reste passionnante.

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Psychanalyse : antisémite toi-même !

Tous antisémites… Il aura fallu peu de temps pour que le débat sur la psychanalyse n’atteigne le « point Godwin », soit l’idée qu’une polémique s’envenime jusqu’à la comparaison de l’adversaire aux nazis. Dans Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne (Grasset, 21 avril 2010), Onfray analyse notamment L’homme Moïse et la religion monothéiste (1939), un essai de Freud, et conclut à l’antisémitisme de l’auteur et fondateur de la psychanalyse. « Si Freud a raison, cet étrange livre autorise une variation supplémentaire sur la “haine de soi juive” chère à Lessing en montrant un juif antisémite ».

Élisabeth Roudinesco tient un propos inverse dans une interview qu’elle donne au Nouvel Observateur. À la question « quelle est la particularité de la critique de Freud en France ? », l’historienne de la psychanalyse répond : l’antisémitisme plus ou moins larvé.  « Il y a bien souvent en France une jonction inconsciente entre antifreudisme, racisme, chauvinisme et antisémitisme, fondée sur la haine des élites et le populisme […] Les éternels complots et affabulations attribués aux psychanalystes sont douteux : on voit l’oeil, la main et le nez de Freud partout… »

Dans Droit naturel et histoire (1953), le philosophe Léo Strauss a critiqué de telles invectives en quelques mots d’une redoutable efficacité : « nous devrons éviter l’erreur, si souvent commise ces dernières années, de substituer à la reductio ad absurdum la reductio ad Hitlerum. Qu’Hitler ait partagé une opinion ne suffit pas à la réfuter. »


Plus sur www.philomag.com

Le débat Onfray/Miller publié dans le numéro de février de Philosophie magazine
La vidéo de ce débat, sur Philosophies.tv

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