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Plongée dans la crise de la brique espagnole

« Bricks« , premier film du sociologue Quentin Ravelli, sort sur les écrans le 18 octobre : ce documentaire nous fait vivre la crise économique espagnole aux côtés des victimes de crédits immobiliers toxiques et dans leurs luttes contre les expropriations, tout en nous offrant un regard panoramique sur la finance et le capitalisme. Cette interview est parue sur CNRS Le Journal.

‘Bricks’ / Bande-annonce officielle / Sortie le 18 octobre

Vos premières recherches portaient sur l’industrie pharmaceutique. Comment en êtes-vous venu à travailler sur la crise financière et immobilière en Espagne ?

Quentin Ravelli (1)  : L’idée est à chaque fois de suivre la « biographie sociale » d’une marchandise, qu’il s’agisse de médicaments, de briques ou de crédits à risque. La façon dont ces produits sont conçus, réalisés puis diffusés révèle toute une conception de l’économie politique.

Dans ma thèse de doctorat, j’ai par exemple essayé de comprendre pourquoi certains médicaments comme les antibiotiques ont paradoxalement tendance à renforcer les bactéries qu’ils sont supposés combattre. Concrètement, plus ces médicaments sont diffusés, moins ils sont efficaces, et plus nous sommes susceptibles de tomber malades ! Je me suis demandé si d’autres produits suivaient un parcours similaire, ce qui me paraît être le cas des crédits immobiliers à risque, censés « démocratiser » la finance et la petite propriété. Plus vous prêtez de l’argent à des personnes qui ne pourront pas le rembourser, plus vous êtes susceptible de les appauvrir en les enfermant dans une situation de surendettement, jusqu’à ce que les résistances sociales cèdent. Cette spirale a été particulièrement dévastatrice en Espagne, car toute une « économie de la brique » était nourrie par ces crédits impossibles à rembourser.

Concrètement, en quoi la production de briques, qui est au cœur de votre film (2), a-t-elle fini par appauvrir ceux qu’elle était supposée enrichir ?

Q. R. : Dans les années 1990, l’extension des crédits immobiliers à risque permet à des millions de personnes, qui ne peuvent pas devenir propriétaires autrement, d’acheter un appartement. En Espagne, cela fait gonfler le secteur de la construction et notamment la production de briques, une spécialité nationale. Selon les estimations, entre 15 et 25 % du PIB est fondé sur ce modèle de croissance dans les années 2000 : beaucoup d’Espagnols travaillaient directement ou indirectement dans ce secteur, et l’argent qu’ils gagnaient comme constructeurs de logements leur permettaient d’emprunter pour acheter un appartement… La boucle était bouclée. Lire la suite

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Après la crise

Après la crise, Alain Touraine, éd. Seuil, coll. « La couleur des idées », septembre 2010. Résumé et critique sur www.evene.fr

La crise financière transforme la société. C’est la principale thèse que défend le sociologue Alain Touraine dans cet essai original. L’auteur ne s’attarde pas sur les aspects économiques de la crise et refait l’histoire d’un point de vue strictement sociologique : l’affaiblissement des acteurs sociaux depuis les années 70 (États, partis politiques, syndicats), la disparition des classes sociales et la mort des sociétés postindustrielles.

Alain Touraine a le mérite de prendre un risque et de proposer une hypothèse originale. En effet, il est toujours dangereux de diagnostiquer le passage d’un type de société à l’autre. Des événements qui semblent aujourd’hui majeurs auront été oubliés dans un siècle, tandis que des faits qui paraissent anodins marqueront peut-être un changement d’ère.

Pour l’auteur, nous entrons dans un nouveau monde qu’il appelle une « situation post-sociale ». La description qu’il en fait semble pertinente, mais un peu abstraite. Alain Touraine convient lui-même que celle-ci n’est pas « réaliste » et qu’un essai sociologique n’est pas un programme politique. Tout de même, quelques analyses plus pragmatiques, plus concrètes, auraient permis de clarifier cette évolution et de donner une idée plus précise de la société à venir.

Ceci dit, l’écriture d’Alain Touraine est à la fois exigeante et accessible. Le style est précis, concis même : en moins de 200 pages, ce petit essai refait presque cinquante ans d’histoire économique et sociale, et bouleverse au passage quelques idées reçues : un bel effort de synthèse.

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