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« Calvin et Hobbes » soufflent leurs 25 bougies. Créé en 1985 par Bill Watterson, ce comic strip américain met en scène un petit garçon râleur, imaginatif et intelligent, et un tigre anthropomorphe, bien plus qu’une peluche, l’ami imaginaire de Calvin.
Bien qu’il ait choisi ces noms singuliers, l’auteur est toujours resté discret sur l’éventuelle portée philosophique de sa BD. De fait, il n’y a pas de rapport direct entre les personnages et leurs homonymes. C’est plus une boutade, un clin d’oeil. Néanmoins, « Calvin et Hobbes » est, à l’instar des « Snoopy », « Garfield » et autres « Mafalda », l’une des BD les plus intelligentes de ces vingt-cinq dernières années.
Parfois légers, toujours drôles, les dialogues de Calvin et Hobbes sont paradoxaux : rien ne va de soi, tout est problématisé, décortiqué, argumenté. Un exemple : regardant avec désarroi un tronc d’arbre coupé, autour duquel s’amoncellent des canettes vides, Calvin songe : « Parfois, je me dis que la preuve la plus certaine qu’une vie intelligente existe ailleurs dans l’univers, c’est qu’aucune n’ait essayé de nous contacter. » Une autre fois, le petit garçon de six ans pointe un doigt contestataire vers ses parents et s’écrie : « Et d’abord, qu’est-ce qui me prouve que votre éducation n’est pas en train de me pourrir l’existence ? » Un régal.
Pédagogue diplômée en philosophie, Véronique Delille anime des ateliers de discussion à partir de cette BD, dans le cadre de l’association « Asphodèle ». Nous lui avons demandé d’expliquer sa démarche.
Pourquoi utiliser « Calvin et Hobbes » comme support pour un atelier philo ?
J’y ai trouvé tout ce que je cherchais. À l’origine, je voulais animer des ateliers pour enfants en utilisant la méthode de Matthew Lipman. Mais je n’obtenais pas les droits d’exploitation de ses livres. J’ai donc étudié la structure des histoires et je me suis aperçu que les éléments clés se retrouvaient dans « Calvin et Hobbes » : un questionnement perpétuel, un support multi thématique, pas de morale, des personnages auxquels s’identifier, un contexte relativement intemporel…
Il y a beaucoup de BD « spirituelles ». Celle-ci est votre préférée ?
Oui. C’est un condensé assez unique. J’aurais pu utiliser « Mafalda », mais le contexte argentin est trop marqué : il y a des allusions politiques, sociales et culturelles, des jeux de mots… Dans le même genre, « Snoopy » pourrait fonctionner, mais il y a beaucoup de base-ball pour nous rappeler qu’on est aux États-Unis. « Calvin et Hobbes » est épuré en comparaison, donc plus universel. On ne sent pas vraiment le poids de la société américaine. Les personnages jouent au « Calvin ball » par exemple, un jeu dont ils inventent les règles au fur et à mesure de la partie. Tous les enfants passent par là. C’est plus universel que le base-ball, et philosophiquement beaucoup plus intéressant.
Quels thèmes philosophiques abordez-vous à partir de cette BD ?
Le côté « sale gosse » assumé est un support idéal pour un atelier philo. Ça remet en question l’illusion biographique dans laquelle nous nous complaisons tous plus ou moins. Pour le reste, j’utilise cinq ou six planches qui me semblent pertinentes. Dans l’une d’elle, Calvin remarque qu’il n’a pas plus de raison de croire au Père Noël que de croire en Dieu. C’est un bon départ pour aborder des notions comme la preuve, la croyance et la science. J’utilise d’autres planches où les thèmes de la parole, la nature humaine, l’amitié ou encore l’intelligence s’entrecroisent. D’après la méthode Lipman, la question de départ est plus un prétexte, elle doit surtout intéresser tout le monde. Pour ça, cette BD est un tremplin formidable.