Claude François, génie de la simplicité

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n° 352 – novembre 2022). À lire pour aller plus loin : La Chanson exactement. L’art difficile de Claude François (Puf, 2017), du philosophe Philippe Chevallier. Ce dernier donne également une conférence dédiée mercredi 19 octobre à la Semaine de la pop philosophie, saison XIV, à Marseille.

En découvrant le biopic consacré à Cloclo (Florent Siri, 2012), le philosophe Philippe Chevallier a souhaité se replonger dans les disques.

« Ça s’en va et ça revient, c’est fait de tout petits riens, ça se chante et ça se danse, et ça revient, ça se retient, comme une chanson populaire. » Plus qu’un effet de mode, les tubes de Claude François ont marqué des générations de fans jusqu’à aujourd’hui. Même le philosophe Gilles Deleuze y consacre l’une de ses rares analyses sur la musique dans son Abécédaire (1996) : « Qu’est-ce qui fait qu’il y a une communauté entre la chanson populaire et un chef-d’œuvre musical ? » Et de prendre en exemple l’évolution artistique de Cloclo, chanteur pourtant méprisé de nombreux intellectuels de son vivant. Aujourd’hui encore, l’artiste peut passer pour médiocre et par ailleurs brutal – avec ses collègues, ses compagnes ou encore de jeunes mineures…

Le philosophe Philippe Chevallier reprend cependant la question à nouveau frais dans La Chanson exactement (Puf, 2017), consacré exclusivement à la musique de Claude François. Chez cette icône française, avance-t-il, « quelque chose sonne parfaitement bien », au-delà des paroles et mélodies, parfois rudimentaires, souvent plagiées. Dans ses analyses, P. Chevalier s’émancipe cependant de G. Deleuze et de sa valorisation de « l’art mineur », y voyant un point de vue certes bien intentionné, mais finalement contraire à un véritable intérêt pour l’œuvre. « Comme par hasard, la seule chanson qui retient l’attention de Deleuze, Alexandrie, Alexandra, a pour parolier un habitué du quartier Latin », ironise-t-il.

Dans son Abécédaire (Pierre-André Boutang, 1995), le philosophie Gilles Deleuze évoque son intérêt pour la chanson populaire et pour Claude François.

Plus profondément, simplicité ne rime pas forcément avec médiocrité. Si on ne comprenait pas les paroles, on apprécierait autant les morceaux de Claude François que ceux de la Motown et de la soul américaine, dont la star a importé des traits saillants et une méthode de production. Les musiciens et musicologues sollicités par le philosophe en témoignent : Cloclo était un monstre de travail, de rigueur et de professionnalisme. À l’instar du musicien américain Prince, meilleur guitariste que Jimi Hendrix mais soucieux de toucher un public plus large, il a volontairement épuré ses morceaux pour obtenir une efficacité sans faille. P. Chevallier développe cette idée en défendant un concept de « forme moyenne », soit une pratique artistique ne cherchant pas tant le génie que la justesse et la sincérité.

Cette performance respecte implicitement quatre règles, précise le philosophe : elle recycle ce qui a fait ses preuves (d’où les nombreuses reprises…) ; elle témoigne d’une maîtrise totale de l’œuvre (de la composition au concert, en passant par l’enregistrement, le show télé, etc.) ; elle propose toujours la même qualité d’exécution (même quand le chanteur se lance dans un nouveau style comme le disco) ; enfin elle se perfectionne constamment, mais sans cibler une perfection qui lui serait extrinsèque. Elle est toujours en ce sens une façon de ”persévérer dans son être” pour réaliser une œuvre profondément personnelle.

Philippe Chevallier donne également une conférence sur « l’art difficile de Claude François », mercredi 19 octobre à la Semaine de la pop philosophie, saison XIV, à Marseille.
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