Tu «mème » ?

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n°350 – août – septembre 2022). À lire pour aller plus loin : Est-ce que tu mèmes ? De la parodie à la pandémie numérique, François Jost (CNRS, 2022) et Mèmologie. Théorie postdigitale des mèmes, Albin Wagener (UGA, 2022).

© KC GREEN

Deux cases de bande dessinée ont fait le tour du monde. Un chien coiffé d’un chapeau prend le thé dans une pièce en flammes. La situation est apocalyptique, mais il a l’air serein. « Tout va bien » (« this is fine »), confirme-t-il en souriant. L’image a été reprise des milliers de fois sur Internet, en étant agrémentée d’autant de commentaires : « moi quand je fais le point sur ma vie », « quand je commence à réviser la veille de l’examen », « quand on me demande comment ça se passe au boulot », etc.

C’est ce qu’on appelle un « mème », une image utilisée par des internautes pour exprimer quelque chose de façon condensée et souvent humoristique. Les clichés sont identiques au départ, mais chacun modifie un détail – une ligne de texte, un élément du décor ou encore un personnage… – pour en faire quelque chose d’unique. Cette pratique était réservée aux geeks puis s’est démocratisée. Des politiques de premier plan s’y mettent, sénateurs ou députés ; des publicitaires s’en inspirent pour concevoir leurs affiches, etc. Du côté de la recherche, les sciences du langage s’y intéressent aussi.

Deux ouvrages universitaires sont parus coup sur coup ce printemps. Selon Albin Wagener, spécialiste en analyse du discours, les mèmes représentent une forme langagière particulièrement adaptée au « nouvel ordre affectif » né sur Internet. Pour exprimer des idées et des émotions dans des interactions en ligne, les formats ont tendance à devenir plus courts et intenses, non linéaires et surtout bricolés à partir de matériaux divers. Non seulement le message gagne en efficacité, pour les réseaux sociaux notamment, mais les créations des internautes se nourrissent les unes des autres et participent à la naissance d’une culture commune.

Les internautes imaginent une infinité de dialogues à partir d’une même image, par exemple celle de Batman infligeant une gifle à Robin.

Pour le sémiologue François Jost également, « les mèmes sont des machines à fabriquer des communautés » : par leur usage de l’humour déjà, toujours excluant pour une partie de la population ; et plus généralement parce qu’ils représentent une infinité de variations possibles à partir de ce qui devient, dans le même temps, une référence partagée. Tous les adeptes de mèmes connaissent désormais la gifle que Batman inflige à Robin, le regard suspicieux d’un personnage du dessin animé Futurama, ou encore ce chien pour qui « tout est bien ». Ces images en viennent à incarner des émotions, impressions et idées presque ineffables, n’ayant plus besoin d’être explicitées, et contribuent ainsi à remodeler l’imaginaire collectif.

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Classé dans Pop culture, Sciences du langage

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