Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n° 347, mai 2022). À lire pour aller plus loin : K-pop. Soft power et culture globale, Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre (PUF, 2022).
Connaissez-vous BTS ? Ce boy’s band coréen est l’un des groupes de musique les plus suivis au monde. L’année dernière, la vidéo de leur dernier single, Butter, a été vue 108,2 millions de fois sur Youtube en 24 heures, un record inégalé depuis. La pop coréenne ou « K-pop » représente « un raz de marée dont BTS est la crête, estiment les sociologues Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre. La K-pop, à son tour, n’est elle-même que la partie la plus visible d’un ensemble de produits coréens qui rencontrent un large succès à l’étranger. » On appelle « hallyu » cette vague de musique, séries et films, jeux vidéo et goodies, qui déferle partout depuis une vingtaine d’années. « C’est bien le pays du Matin calme qui est devenu l’alternative la plus crédible au magistère régional du Japon et à celui global des États-Unis, en matière de visions du monde. »
Contrairement à ces deux rivaux, la Corée du Sud a l’avantage de ne pas être associée à une puissance militaire, coloniale ou encore impérialiste à travers l’histoire ; elle réveille moins de douloureux souvenirs à l’international. En outre, ses productions pop privilégient une esthétique bon enfant, positive et dynamique, colorée voire sirupeuse… Elles célèbrent une modernité heureuse tout en passant sous silence des réalités plus conflictuelles – entre les ethnies, les classes sociales, les sexes, etc. Après une crise économique dévastatrice en 1997, la Corée du Sud a ainsi voulu donner une image idyllique d’elle-même hors de ses frontières. V. Cicchelli et S. Octobre assimilent cette stratégie à un « sweet power », variante du soft power bien connu des politologues et diplomates. Cette approche consiste à valoriser la bienveillance, le goût de l’autre et le cosmopolitisme, pour se donner toutes les chances de séduire un public international.
La K-pop a ainsi touché une jeunesse française particulièrement sensible au respect des différences et à l’exotisme, d’autant plus encline à s’approprier de nouveaux codes culturels pour construire son identité. Ces dernières années, la K-pop se pique même de politique. BTS a notamment mobilisé ses fans contre les violences policières et racistes aux États-Unis, après la mort de George Floyd, contre des mouvements suprémacistes sur Internet, ou encore pour perturber avec succès un meeting de Donald Trump. Du sweet power à l’activisme, il n’y avait qu’un pas.