Métaphysique du chevalier noir

Né en 1939 sous la plume des américains Bob Kane et Bill Finger, Batman a fêté ses 80 ans cette année. Comment expliquer une telle longévité ? Pour le philosophe Emmanuel Pasquier, auteur de Le Cœur & la machine (éd. matériologiques, 2017), les super-héros « condensent un grand nombre de figures mythologiques tout en opérant des jeux de distinction les uns par rapport aux autres ». Dans ce panthéon, la figure paradigmatique de Superman serait un dieu solaire venu aider les hommes, à l’image d’Achille dans L’Iliade et l’Odyssée d’Homère – la kryptonite faisant office de talon… Et « Batman en est un parfait contrepoint : nocturne, torturé, fondant sur les criminels comme sur des proies. »

En outre, le chevalier noir évoque à bien des égards l’homme « aux mille tours » (polutropos en grec) de la Grèce antique, incarné par Ulysse dans l’épopée homérique. Batman, ses gadgets et son sens affûté de l’investigation sont à l’image d’Ulysse, « héros de la ruse nocturne du cheval de Troie. Celui qui s’en tire toujours grâce à ses stratagèmes ou son ingéniosité technologique », relève E. Pasquier. Dans un même esprit, Batman est l’un des rares héros n’ayant aucun pouvoir surhumain ; ses duels fratricides avec Superman font écho à cette victoire de l’humanité que symbolise le geste d’Ulysse : le héros est en effet aussi celui qui – par opposition à Achille – refuse l’immortalité sur l’île de Circé, renonçant par là à devenir l’égal d’un dieu.

Pour autant, « Batman renvoie davantage à un imaginaire chrétien et gothique, tempère E. Pasquier. Il est comme les gargouilles, ces démons qui inspirent la crainte bien qu’ils aient vocation à protéger les cathédrales. » Sa lutte contre le crime est elle aussi ambiguë, toujours à mi chemin entre vengeance personnelle – ses parents ayant été assassinés – et sens de la justice.

Cet article est paru dans Sciences humaines (n°317, août-septembre 2019)

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