Spirou, un héros dans la tourmente

Créé à l’aube de la Seconde Guerre mondiale par l’illustrateur français Rob-Vel, popularisé par Jijé et Franquin, le célèbre groom bruxellois est amené, dans cet album en forme de flash-back, à développer une conscience politique. Dès les premières planches, une bataille de boules de neige entre enfants donne le ton de la Belgique des années 1940 : « À mort les Boches », « Crevez, sales Français », « Les Rosbifs, on en fait du pâté ! »… Jusqu’au moment où un gamin glisse un caillou dans sa boule et en blesse un autre à la tête. Spirou s’interpose mais assiste impuissant à la montée de l’intolérance, du racisme et du bellicisme.

La reconstitution historique est d’une rare précision. Émile Bravo s’est appuyé sur une abondante documentation et notamment sur les rapports de Paul Struye, un politicien belge qui a décrit la vie quotidienne sous l’occupation nazie. Le dessinateur privilégie une gamme de couleurs terreuses et multiplie les scènes sous la pluie au fil de l’histoire. Spirou découvre la réalité du conflit : les combats et les morts, la nécessité de prendre les armes, ou bien de fuir vers la France… qui a fermé ses frontières aux réfugiés. Amoureux d’une jeune juive communiste disparue en Allemagne, ami d’un peintre abstrait taxé de « dégénéré », il rencontre des boy-scouts embrigadés, des curés anticommunistes, mais aussi des paysans humanistes et probablement résistants. Les tensions entre Flamands et Wallons, attisées par l’occupant, sont évoquées à travers des mouvements comme la Ligue flamande et le rexisme.

Encore très jeune, Spirou se forge peu à peu son opinion dans une histoire appelée à se développer sur plusieurs tomes. Son ami Fantasio, lui, fait office d’homme naïf de son temps. N’ayant pas de recul sur les événements, se laissant facilement embrigader s’il y trouve un intérêt, il bascule dans le journalisme de collaboration. Cette leçon d’histoire en images est à mettre entre toutes les mains.

Spirou, L’espoir malgré tout , Émile Bravo, Dupuis, 2018, BD, 88 p., 16,50 €. Cet article est paru dans la rubrique spéciale « livres d’été » du magazine Sciences Humaines (n° 317, juillet – août 2019)

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