Ancien trader devenu instituteur, Gilles Vernet est l’auteur d’un documentaire sur l’accélération de nos vies, fortement inspiré par le philosophe Hartmut Rosa.
Gilles Vernet tient difficilement en place : en une heure d’entretien, il se lève une bonne dizaine de fois pour nous montrer un livre, une photo, une vidéo… « Je me contredis un peu en m’agitant dans tous les sens », reconnaît en riant ce militant du ralentissement, du calme et de la sérénité, qui médite quelques minutes chaque matin pour devenir aussi apaisé qu’un moine bouddhiste. Cet ancien trader, devenu instituteur en classe de CM2, n’est pas tout à fait guéri d’une propension au multitasking. Sur son temps de loisir, il réalise des vidéos promouvant le bien-être – version Matthieu Ricard ou Christophe André –, il parachève un livre au titre éloquent, J’arrête de vivre à 100 à heure, et prépare la sortie de son documentaire au cinéma le 20 avril, Tout s’accélère.
De la frénétique absurdité à la rupture
L’accélération, la pression pour aller toujours plus vite, plus loin, plus fort, G. Vernet l’a connue dès l’enfance. « Mes parents n’ayant pas eu la chance de faire des études ont tout misé sur moi. » Du lycée d’élite à la haute école de commerce, il baigne dans un univers de compétition effréné et finit par devenir trader sur les marchés financiers. « Je suis arrivé en pleine bulle Internet, entre 1998 et 2000, mes clients étaient ultra-stressés et j’étais moi-même en frénésie. » Les indices boursiers font de la haute voltige, une situation qui lui paraît de plus en plus absurde. Il songe à changer de vie, surtout lorsque sa mère tombe gravement malade et qu’il peine à trouver le temps de l’aider. La rupture est définitivement consommée le 11 septembre 2001 : alors que le monde est sidéré face à l’effondrement du World Trade Center, son dirigeant déboule dans son bureau et s’écrie : « Réveillez-vous ! Vendez les compagnies aériennes et d’assurance, achetez de l’or et du pétrole ! »
Ateliers philo sur le temps
Après quelques essais de reconversion dans le coaching ou le documentaire, G. Vernet devient instituteur à Paris dans le 19e arrondissement. « Plutôt autoritaire », de son propre aveu, il réhabilite la leçon de morale en début de journée, en partant d’un proverbe – “Œil pour œil, et le monde sera aveugle” –, d’une citation ou d’un exemple philosophique, comme l’allégorie de la caverne de Platon. Disciple de Rousseau et de son Émile, il préfère développer la « capacité de jugement » des enfants, plutôt que leur inculquer des connaissances à la chaîne… L’un n’empêchant d’ailleurs pas l’autre, puisqu’il en profite pour glisser quelques notions de maths ou de français dans les échanges.
Le documentaire Tout s’accélère est entièrement basé sur ces discussions : les élèves confient face caméra leurs idées sur la course au “toujours plus”, les agendas surchargés de leurs parents et l’accélération généralisée de nos vies – un peu comme dans les films Être et avoir (2002) et Ça n’est qu’un début (2010). G. Vernet a également interviewé des spécialistes du temps pour compléter le propos des enfants : le physicien Étienne Klein, la sociologue Nicole Aubert ou encore le philosophe Hartmut Rosa. Ce dernier est d’ailleurs à la source de ce projet, puisque ses essais ont bouleversé G. Vernet. « Il m’a permis de comprendre pourquoi cette course effrénée de l’humanité était absurde, mais aussi dangereuse et à l’origine de tant d’autres problèmes : le mal-être généralisé, les inégalités, les injustices, même les dérèglements climatiques ! », énumère aujourd’hui ce partisan de la décroissance.
À voir, à lire :
Tout s’accélère, un film de Gilles Vernet (La Clairière Production, Kamea Meah Films)
Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive (La Découverte, 2012), et Accélération. Une critique sociale du temps (La Découverte, 2013), de Hartmut Rosa