En 2013, le psychologue français Laurent Bègue s’était déjà distingué en remportant un IG Nobel. Ce prix parodique, décerné à Harvard, couronne des découvertes rigolotes, voire grotesques, mais menées en toute rigueur scientifique. À l’époque, L. Bègue avait ainsi montré que « plus les gens ont bu, plus ils se trouvent attirants ». Sa nouvelle enquête s’inscrit toujours dans cette veine. Avec son équipe, il a cette fois mené une enquête philosophique dans des bars de Grenoble.
À des clients sobres ou passablement enivrés, les chercheurs ont soumis un dilemme moral classique, le dilemme du tramway : « Cinq personnes sont allongées sur une voie ferrée et un tramway, freins lâchés, fonce sur eux ; vous vous trouvez à proximité de l’aiguillage et vous pouvez détourner le trolley sur une autre voie, où il n’y a qu’une personne attachée. »Vous avez deux options : « Ne rien faire et laisser mourir les cinq personnes », ou actionner l’aiguillage, c’est-à-dire « provoquer volontairement la mort de quelqu’un afin d’épargner les autres ». Résultat : les personnes sobres ont tendance à choisir la première option, refusant qu’une décision de leur part soit à l’origine d’un décès. Mais plus un homme a de l’alcool dans le sang, plus il a tendance à faire le second choix !
« Ces résultats indiquent que les “décisions utilitaristes” doivent peu à l’analyse et à la réflexion, en concluent les chercheurs. Paradoxalement, en effet, les personnes pragmatiques s’appuieraient davantage sur leur “bon sens” et feraient moins de calculs que les idéalistes. »
Aaron Duke et Laurent Bègue, « The drunk utilitarian. Blood alcohol concentration predicts utilitarian responses in moral dilemmas », Cognition, vol. CXXXIV, n° 1, 2015.
Cet article est paru dans Sciences Humaines (n° 269, avril 2015). Pour plus d’actualités scientifiques, cliquez ici.