Face aux dangers qu’engendre la pandémie, tous les regards se tournent vers les scientifiques : ceux du grand public mais aussi des pouvoirs politiques, qui s’appuient sur leur expertise pour justifier leurs actions et décisions. Quelle image de la recherche cette situation peut-elle véhiculer ?
Dominique Wolton (1) : La confiance n’a peut-être jamais été aussi grande, elle l’est sans doute trop d’ailleurs. La science passe pour toute puissante, ses représentants seraient les seuls à même de nous sortir de la crise sanitaire. Certains politiques passeraient presque, à l’inverse, pour désemparés. Ils semblent déléguer la responsabilité à « ceux qui savent », entre guillemets, ou détiendraient des solutions supposées objectives. Pour des personnes qui ont consacré toute leur vie à la recherche, une telle reconnaissance est émouvante. Mais elle pose au moins trois problèmes.
D’une part, les scientifiques ne sont pas des médecins, même dans des disciplines comme la virologie ou l’épidémiologie. Ils étudient des questions relativement abstraites et sur le long terme, tandis que les médecins sont davantage dans l’action et sont notamment confrontés à des enjeux de vie ou de mort, à l’immédiateté de la douleur, de l’angoisse et des risques, ainsi qu’à des différences sociales ou culturelles dans les rapports humains et les comportements — un Chinois n’est pas un Européen…
Nous sommes en démocratie et, in fine, il revient au politique de prendre des décisions et d’en assumer la responsabilité dans le respect du cadre institutionnel. Ce n’est pas le rôle des scientifiques.
D’autre part, les scientifiques ne sont pas forcément unanimes. Ils débattent et peuvent être dans des controverses et des concurrences qui ne sont pas toutes scientifiques. Il est naturel que les politiques et le grand public cherchent à se rassurer, en imaginant qu’une unanimité existe et puisse nous guider vers une sortie de crise, mais c’est plus compliqué que cela. Enfin, nous sommes en démocratie et, in fine, il revient tout de même au politique de prendre des décisions et d’en assumer la responsabilité dans le respect du cadre institutionnel. Ce n’est pas le rôle des scientifiques, même si c’est très difficile pour les politiques.
Les chercheurs pourraient-ils paradoxalement payer les pots cassés de cette crise sanitaire ?
D.W. : Le risque que le public soit déçu est réel. Les scientifiques – comme les médecins d’ailleurs – ne peuvent pas prédire exactement ce qui va se passer, ni décréter de façon catégorique ce qu’il faudrait faire. Il y aura des erreurs, des ratés, des évaluations qui apparaîtront maladroites avec le recul… La confiance du public pourrait se fractionner. On voit déjà celle-ci se fissurer et parfois s’agglomérer à la critique dont les politiques font régulièrement l’objet. Lire la suite →