Archives de Catégorie: Histoire

Rafle du Vel d’Hiv : nouvel éclairage sur un crime français

Des sources et archives inédites permettent aujourd’hui de mieux comprendre ce qui s’est concrètement passé dans les rues de Paris il y a quatre-vingts ans, au moment de la rafle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942. Analyse avec l’historien Laurent Joly, auteur d’un récent livre-enquête sur le sujet et coauteur d’un documentaire diffusé le 17 juillet sur France 5.

Cette interview est parue dans Le Journal du CNRS

Mémorial situé à l’emplacement de l’entrée de l’ancien Vélodrome d’Hiver. Il est dédié aux 4 115 enfants juifs raflés, déportés et exterminés à Auschwitz-Birkenau. © Franck Lodi/Sipa

Comment expliquer la rafle du Vel d’Hiv à quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler ?

Laurent Joly (1). On peut partir de son nom. Une « rafle », cela veut dire que des personnes sont arrêtées en masse. Ce ne sont pas des interpellations individuelles ou ponctuelles. C’est une vaste opération de la police parisienne qui vise 35 000 juifs étrangers et leurs enfants (qui eux sont français, car nés en France, pour la majorité d’entre eux), à Paris les 16 et 17 juillet 1942. En moins de deux jours, 12 884 sont arrêtés au final. Et puis il y a le « Vel d’Hiv », ou « Vélodrome d’Hiver », qui était un palais des sports dans le 15e arrondissement. Les familles arrêtées y sont incarcérées sans connaître leur sort. Les Allemands ne disent pas clairement ce qui attend les prisonniers. À Auschwitz, les chambres à gaz sont prêtes, mais pas les crématoires. Les nazis ont donc besoin d’un peu de temps avant de déporter les enfants, tous destinés à la chambre à gaz, contrairement aux adultes dont certains rentrent dans le camp pour y périr comme esclaves. Au final, presque toutes les personnes arrêtées ont été déportées dans les deux mois. Seule une centaine de ces victimes survivra.

C’est la plus grande rafle ayant lieu en Europe de l’Ouest durant la Seconde Guerre mondiale (les plus importantes menées en zone libre, à Berlin ou encore Amsterdam feront par la suite environ 5 000 ou 6 000 victimes). Pour mener une telle opération, la collaboration du régime de Vichy et de la police française est nécessaire. C’est la mise en œuvre concrète de la politique génocidaire des nazis en France. En même temps, il y a quelque chose d’effroyablement banal dans la façon dont les choses se déroulent. Seuls des agents ordinaires sont impliqués, des gardiens de la paix, des gendarmes, des chauffeurs de bus…

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« Les trajectoires des scientifiques en exil sont trop souvent mal connues »

Depuis plus d’un siècle, la France développe une politique d’accueil pour les chercheurs et chercheuses obligés de fuir leur pays, comme aujourd’hui en Ukraine. Pascale Laborier, à l’initiative du Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil (Pause) et d’une exposition consacrée à ces exilés, nous en explique les enjeux. Cette interview est parue dans Le Journal du CNRS.

Montage de trois portraits de scientifiques contraints à l’exil, issus de l’exposition itinérante « Poser pour la liberté » ©Pierre-Jérôme Adjedj

Dès le début de la guerre en Ukraine, le Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil (1) (Pause) a diffusé un appel d’urgence auprès d’une centaine d’universités et d’établissements de recherche…

Pascale Laborier (2). Oui ce programme facilite la prise en charge d’universitaires contraints de quitter leur pays lorsque la situation sur place met leurs travaux ou eux-mêmes en danger. En février dernier, les chercheurs et chercheuses ukrainiens étaient donc particulièrement concernés. Pause a permis une aide financière exceptionnelle de trois mois pour les aider à accueillir scientifiques et artistes ukrainiens. Cela s’ajoute à nos actions dans les universités : Pause co-finance l’accueil de chercheuses et de chercheurs en exil à hauteur maximale de 60 %, tandis que 40 % de leur salaire sont pris en charge dans les établissements. Et le réseau Migrants dans l’enseignement supérieur (MEnS), créé en 2016, qui a pour objectif de mettre en œuvre des actions pour favoriser l’insertion académique des personnes exilées, chercheurs et étudiants.

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Comment décidons-nous ?

J’ai dirigé le dernier dossier de Sciences Humaines, consacré à la prise de décision (n°348 – juin 2022). À découvrir en kiosque ou en ligne !

Trois grandes familles de réponses ont été apportées à cette interrogation. Dès l’Antiquité, la philosophie s’intéresse notamment aux enjeux moraux: se décider, c’est préférer certaines valeurs, un modèle de vie et de société à d’autres.

Aux 19e et 20e siècles, l’économie met un fort accent sur la question de la délibération, soit le calcul rationnel des décisions supposées les plus bénéfiques à un individu.

Plus près de nous, la psychologie explore à nouveaux frais les choix automatiques que chacun fait au quotidien.

Ces trois dimensions ne sont pas forcément exclusives et s’enrichissent même. Entre raison et intuition, préférence morale et subjective, la décision n’a pas fini de livrer ses mystères.

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Tous cobayes ? 2500 ans d’expérimentations humaines

Pour Ça m’intéresse – Histoire, j’ai remonté le temps jusqu’aux premières traces d’expériences scientifiques sur des êtres humains : de la trépanation des migraineux, dans la préhistoire, jusqu’à la naissance de bébés génétiquement modifiés en Chine, en 2018, en passant par les débats sur la vivisection dans l’Antiquité et les horreurs de la Seconde guerre mondiale.

À retrouver en ligne et en kiosque. Bonne lecture !

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Comment sauver le pluralisme des médias ?

Le regroupement d’un grand nombre de chaînes de télévision, de radios et de titres de presse entre les mains de peu d’acteurs financiers menace l’indépendance des médias dans notre pays, alors même que des fusions sont en discussion. C’est le point de vue de l’économiste Julia Cagé, qui propose des pistes pour améliorer la santé démocratique de nos médias. Cette interview est parue dans Le Journal du CNRS

©Alexis Christiaen (Pib) / La Voix du Nord / PhotoPQR / MaxPPP

Il est aujourd’hui beaucoup question de la concentration des médias entre les mains de peu d’acteurs financiers. D’ailleurs, 250 professionnels de la presse, de la télévision et de la radio ont signé une tribune en décembre pour alerter sur le sujet (1). La situation menace-t-elle réellement la démocratie ?

Julia Cagé (2). On assiste en effet à un fort mouvement de concentration actionnariale, en particulier celle réalisée par Vincent Bolloré (actionnaire à 27 % de Vivendi, groupe français spécialisé dans les contenus, les médias et la communication, NDLR), précisément visé dans cette tribune.

Or le pluralisme des médias est un principe constitutionnel. Et le journalisme n’est pas un métier comme les autres : il a un rôle d’information et d’animation de la vie publique. C’est pourquoi des lois spécifiques ont été adoptées pour protéger son indépendance : par exemple la « clause de conscience » et la « clause de cession », qui permettent à des journalistes de quitter leur rédaction, dans de bonnes conditions, en cas de changement de ligne éditoriale ou de propriétaire de l’entreprise éditrice.

(…) en termes de parts de marché, les médias « mainstream » restent dominants. Si un journaliste se brouille avec eux (…), les options pour vivre de son métier sont vite limitées.

Votées par le Parlement français en 1935, ces dispositifs ont permis pendant des décennies de faire vivre le pluralisme. Lorsqu’un journaliste était empêché de faire son travail par sa direction — ou avait le sentiment de ne plus pouvoir y travailler librement —, il la quittait et allait le faire ailleurs. Mais ce système ne fonctionne plus si une poignée de grands patrons et d’actionnaires possèdent 90 % des entreprises d’information !

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« Pour revivifier le christianisme, les cosmistes veulent ressusciter les morts »

Né dans la Russie du XIXe siècle, le cosmisme est un courant de pensée alliant spiritualisme et engouement pour la science, théologie orthodoxe et de marxisme. Ses partisans plaident pour que de nouvelles technologies rapprochent l’humanité d’une forme de divinité. Certains entendaient ressusciter les morts – littéralement ! – et auraient influencé le projet de conquête spatiale.

Le philosophe et journaliste Michel Eltchaninoff raconte l’incroyable histoire de ce mouvement dans Lénine a marché sur la lune. La folle histoire des cosmistes et transhumanistes russes (Actes Sud, 256 pages).

Je l’ai rencontré pour Le Monde afin d’en savoir plus. L’interview est parue sur le site (sur abonnement). Rendez-vous ici pour y accéder !

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Le coaching, un “tournant personnel du capitalisme”

La sociologue Scarlett Salman vient de publier Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise, fruit de plusieurs années d’enquêtes et d’entretiens avec des coachs, des coachés et des responsable RH. Ses analyses expliquent l’essor et l’évolution des pratiques d’accompagnement personnalisé depuis plus de vingt ans, tout en soulevant des questions fondamentales quant à leur fonction parfois « palliative » et leur tendance à individualiser les responsabilités. Retrouvez mon interview sur Philonomist.

Normalienne (Ens de Cachan/Saclay), agrégée de sciences économiques et sociales, elle est sociologue, maîtresse de conférences à l’université Gustave-Eiffel et chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire sciences innovations sociétés (LISIS).

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Naissance d’une science moderne de l’esprit

Deux linguistes revisitent l’histoire de leur discipline, pour rendre compte de l’émergence d’une nouvelle conception de l’esprit humain au 20e siècle. Ils déconstruisent par la même occasion bien des idées reçues sur la marche des sciences. Cette recension est parue dans Sciences Humaines (n° 344, février 2022).

L’ouvrage entend faire date, il pourrait bien être à la hauteur de ses ambitions. Aux origines des sciences humaines est une somme magistrale sur l’histoire des idées, du milieu du 19e siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale – un deuxième tome a été annoncé pour la période ultérieure. Dès l’introduction, il est clair que ce ne sera pas une simple compilation de biographies de chercheurs, ni un récit scolaire sur la marche des sciences. John Goldsmith et Bernard Laks proposent d’emblée une réflexion critique sur l’histoire de la recherche en sciences humaines.

Ils remettent en question des acquis aussi convenus que l’origine d’une théorie, le crédit que l’on peut accorder à tel ou tel savant pour l’avoir portée, ou encore son influence dans un champ disciplinaire et au-delà. Ils interrogent le lien entre le renouvellement des idées et celui des générations de chercheurs ; ils discutent du poids du contexte – personnel, social, culturel, politique… – sur le travail universitaire. Le propos est large et en même temps pointu. Dès les premiers chapitres, toute une galerie de personnages défile sous nos yeux. Ils débattent, s’enrichissent mutuellement, se disputent ou font au contraire alliance.

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Rocky, la revanche du blanc

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n° 344, février 2022)

Le 4 juillet 1910 aux États-Unis, le boxeur James Jeffries enfile les gants face à Jack Johnson, « dans le seul but de prouver qu’un homme blanc est meilleur qu’un Nègre ». Mais « le grand espoir blanc », comme le surnomment ses fans, prend une raclée, tandis que J. Johnson, enfant d’anciens esclaves et né dans l’extrême pauvreté, devient le premier Noir sacré champion du monde catégorie « poids lourds » de l’histoire de la boxe. Cette consécration était interdite aux Afro-Américains jusque-là. Beaucoup ne se priveront plus de truster le podium par la suite, comme Mohamed Ali dans les années 1960-1970, ou plus près de nous « Iron » Mike Tyson.

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L’histoire du Goncourt reste à écrire

Avant d’incarner un prestigieux prix littéraire, l’Académie imaginée par les deux frères écrivains Jules et Edmond de Goncourt a connu des débuts difficiles et une histoire moins linéaire qu’on pourrait le croire. Cet article est paru sur Le Journal du CNRS.

Paul François Arnold Cardon (dit Dornac, Paul (ou Pol) Marsan). « Portrait de l’écrivain, Edmond Louis Antoine Huot de Goncourt (1822-1896), dans son cabinet de travail ». Tirage papier albuminé. Entre 1885-et 1895. Paris, musée Carnavalet. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Élections, contestations, critiques, reconnaissances… Comme à chaque automne, le prix Goncourt fait parler de lui. Il lance ou confirme des carrières. Il garantit de belles ventes – plus de 300 000 en moyenne – et s’impose comme un événement littéraire incontournable de la rentrée. Pourtant « le prix Goncourt a failli ne jamais voir le jour », rappelle Gabrielle Hirchwald, enseignante-chercheuse au laboratoire Analyse et traitement Informatique de la langue française. Elle explore et dépouille notamment les archives Goncourt à Nancy, et rassemble des documents liés au fonctionnement, à l’organisation et à l’évolution de l’Académie depuis sa création. Son travail dévoile peu à peu l’histoire mouvementée et parfois méconnue de cette institution.

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