Une sociologie du Titanic

Artiste vagabond embarqué à la dernière minute sur le célèbre paquebot, Jack sauve la vie de Rose, aristocrate étouffée par sa famille et par les conventions. Pour le remercier, elle l’invite à quitter les bas-fonds le temps d’un dîner dans le luxueux restaurant du bateau. Malgré un élégant costume déniché pour l’occasion, Jack sent immédiatement qu’il détonne : sa posture, sa démarche, sa façon de parler… Il n’a pas les codes, et tente bon gré mal gré d’imiter les hommes riches de la première classe. « C’est effarant ! Vous passeriez presque pour un gentleman », s’étonne un aristocrate en le reconnaissant. « Presque », relève Jack avec fatalisme.

Cet extrait du film Titanic (1997), de James Cameron, met en scène plusieurs enjeux liés à la notion de classe sociale, analyse le sociologue Mehdi Arfaoui dans un texte publié sur FictionSocio. Mis en ligne l’été dernier, ce site Internet propose des ressources culturelles et pédagogiques pour s’initier aux sciences sociales grâce à des exemples tirés de la pop culture – extraits de films et de séries notamment.

Dans Titanic, plusieurs séquences illustrent ainsi le concept d’« habitus », proposé par le sociologue Pierre Bourdieu dans La Distinction (1979). Selon lui, notre style de vie, nos goûts ou encore notre manière d’être – notre habitus en un mot – sont déterminés par notre appartenance à une classe. Cet ancrage fait profondément partie de notre identité, au point qu’il révèle toute de suite notre position sociale et qu’il est difficile de s’en débarrasser.

Habitus incorporé

Ainsi, lorsque Jack participe à un dîner mondain, son costume ne suffit pas pour masquer ses origines modestes. S’il tente dans l’urgence de se tenir droit comme un aristocrate, son statut social refait constamment surface, notamment lorsqu’il cherche à comprendre quels couverts utiliser selon les plats. À l’inverse, quand Rose accompagne Jack pour « une vraie fête » dans les compartiments de 3e classe, elle est moins à l’aise que lui pour participer aux danses folks, mais épate la galerie en réalisant des pointes de classique. Ce passage souligne la dimension profondément incorporée de l’habitus – déterminant littéralement jusqu’au corps des individus.

En imaginant une romance passionnée entre deux personnes que tout oppose sur le plan social – sorte de Roméo et Juliette contemporain –, J. Cameron suggère que l’amour peut briser ces frontières de classes. Néanmoins, qui sait ce que le couple de Jack et Rose serait devenu s’il avait survécu au naufrage du paquebot ?  

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n°363 – Novembre 2023). À lire pour aller plus loin : le texte consacré à « Titanic » sur FictionSocio.fr.