Le vampire, patchwork de nos peurs

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n° 356 – mars 2023). À lire pour aller plus loin : Ainsi se meuvent les vampires. Essai sur la variation du sens, Arnaud Esquerre, Fayard, 2022.

Artwork pour la saga La Lignée, de Guillermo del Toro et Chuck Hogan

Les vampires sont les créatures les plus intéressantes du genre « horreur/fantastique ». Ils sont plus intelligents que les zombies, ont une vie émotionnelle plus riche que les loups-garous, et paraissent plus dangereux que les fantômes. Pour cause, ils sont un mélange de tous les monstres qui hantent l’Europe depuis le 18e siècle, leur empruntant à chaque fois les caractéristiques les plus effrayantes et fascinantes.

Dans son enquête sur le sens du mot « vampire » à travers l’histoire, le sociologue Arnaud Esquerre montre que ce nom à l’étymologie mystérieuse désigne d’abord des morts qui s’en prennent aux vivants. Le terme apparaît notamment en 1746, dans un traité du moine lorrain Augustin Calmet, mais aussi dans des articles philosophiques ou médicaux. En plein siècle des Lumières, les intellectuels recherchent une définition scientifique de la mort et s’interrogent sur le traitement à réserver aux cadavres. Il n’est pas étonnant que le mythe du mort-vivant émerge au même moment…

Chauve-souris vampire du Costa-Rica ©Minden Pictures / Alamy

Parallèlement, des naturalistes reviennent d’Amérique où ils ont découvert des chauves-souris suceuses de sang – particulièrement effrayantes pour des Européens habitués aux petites roussettes ! Dans sa classification des espèces, le comte de Buffon les trouve monstrueuses et décide de les nommer « vampires ». Les amateurs de légendes emprunteront ensuite au loup-garou sa capacité de métamorphose, pour expliquer que ces créatures aient tantôt l’air d’humains et tantôt de chauves-souris.

Au 19e siècle néanmoins, la littérature et le théâtre ne reprennent pas encore ces dimensions les plus fantastiques, insistant davantage sur le versant prédateur vicieux et amateur de proies impuissantes – notamment dans la nouvelle Le Vampire (1819), de John William Polidori. Dans des chroniques judiciaires, ils sont également associés à des cas de nécrophilie, des viols de cadavres s’accompagnant parfois de la profanation de leur sépulture.

Illustration de l’édition originale du roman Carmilla, par David Henry Friston.

Toutes ces caractéristiques – mort-vivant, suceur de sang, sexuellement déviant… – sont finalement rassemblées dans deux romans fondateurs : Carmilla (1872) de Joseph Sheridan Le Fanu, et Dracula (1897) de Bram Stoker. Du cinéma aux bandes dessinées, de la littérature aux jeux vidéo, le mythe sera régulièrement altéré ou enrichi. Mais il demeurera cette synthèse exceptionnelle de sexe et de mort, d’animalité et de sophistication.

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