Picsou, miroir de nos excès

Cette chroniques est parue dans Sciences Humaines (n° 353 – Décembre 2022). À lire pour aller plus loin : L’Économie et les sciences sociales selon Picsou, Thierry Rogel, L’Étudiant éd., 2022.

« The Fabulous Philosopher’s Stone », Carl Barks, 1955

Dans la bande dessinée La Pierre philosophale (1955), le canard le plus riche du monde découvre le trésor de Midas. D’après la mythologie grecque, cette pierre philosophale transforme tout ce qu’elle touche en or… y compris son possesseur ! Le roi Midas dut y renoncer car il ne pouvait même plus boire ni manger. Picsou commence aussi à se transformer avant d’être sauvé par ses neveux. Il regrette cependant de perdre l’occasion de changer ses plumes en or pour les revendre. Comme souvent, ce multimilliardaire incarne les dérives de la cupidité. Mais d’autres traits peuvent lui être prêtés selon les récits.

« Les histoires de Picsou présentent de manière exacerbée l’ensemble des attitudes possibles à l’égard de l’argent », relève le professeur d’économie Thierry Rogel : la cupidité mais aussi l’avarice, la prodigalité (ou dépense compulsive), l’ennui, le cynisme et le refus de l’argent. « Il s’agit là de dérives de comportements normaux, poursuit T. Rogel. En effet, désirer avoir de l’argent pour le dépenser et faire face à un imprévu est normal, le désirer pour lui-même ne l’est pas. Être économe est une vertu, avare un vice (…). Au fond, Picsou nous montre jusqu’où on ne doit pas aller. »

Picsou à différentes étapes de sa vie dans « The Life and Times of Scrooge McDuck » (Don Rosa, 1994 – 1996)

Ces excès sont indexés dans Philosophie de l’argent (1900) du sociologue Georg Simmel. Le comportement dit « normal » ou sain y est représenté comme une « chaîne téléologique » : le désir d’argent mène à sa possession, qui entraîne sa dépense et donc la satisfaction de besoins ou de désirs. Les comportements pathologiques sont assimilés à des cassures : lorsque la chaîne se brise juste après le désir d’argent, elle se replie sur elle-même et se mue en cupidité. De façon similaire, l’avarice correspond à une rupture juste après la possession d’argent, et la dépense devient compulsive lorsque le lien est brisé après elle. À chaque fois, elles deviennent des fins en elles-mêmes au lieu d’être des moyens de passer à l’étape suivante.

Deux autres excès se situent à la fin de la chaîne : l’ennui survient quand le désir reste insatisfait, encourageant la recherche de plaisirs dans d’autres dérivatifs comme les drogues. Le cynisme part au contraire du principe que l’argent permet de tout obtenir, comme si rien n’avait de valeur en dehors de son prix sur le marché. Enfin la dernière attitude possible est une cassure en début de chaîne, lorsque l’on rejette le désir d’argent pour promouvoir un autre modèle de vie et de société. On pourrait croire que Picsou n’y a jamais songé. Pourtant dans un épisode de jeunesse (Le Rêveur du Never Never, 1993), il refuse de s’emparer d’un trésor trouvé par chance, car il préfère devenir riche par son travail. Miroir de nos excès, il lui arrive aussi d’incarner nos meilleurs penchants. 

« The Dreamtime Duck of the Never-Never », Don Rosa, 1995
Publicité

Poster un commentaire

Classé dans Philosophie, Politique, Pop culture, Société, Travail

Les commentaires sont fermés.