« Squid Game », le jeu de la mort

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n°349 – juillet 2022). À lire pour aller plus loin : La Psychologie selon Squid Game, Jean-François Marmion (éd. de l’Opportun, mars 2022)

Dans cette série coréenne, des centaines de personnes endettées voire ruinées sont invitées à une compétition illégale pour tenter de gagner 45,6 milliards de wons (environ 32 millions d’euros). Chaque épreuve est littéralement un jeu d’enfant, parfois connu en Occident comme « 1, 2, 3… soleil », et parfois propre à la culture coréenne : le « squid game », ou « jeu du calamar », est ainsi un étonnant mélange de marelle et de rugby. Le hic, c’est que les règles de tous ces jeux sont aménagées pour que les perdants soient fusillés, écrabouillés ou encore déchiquetés. Ils peuvent même s’entretuer entre deux épreuves pour éliminer des rivaux. Les joueurs forment des alliances, certains se trahissent, d’autres se retrouvent malgré eux dans des duels à mort. À la fin, seuls les survivants se partageront la récompense.

Et vous, que feriez-vous ? Si l’on en croit Jean-François Marmion, auteur d’un essai sur La Psychologie selon Squid Game et collaborateur de Sciences Humaines, vous tueriez comme tout le monde ! Tant cette compétition pousse à commettre « l’irréparable à petits pas ». « Les jeux sont organisés pour favoriser cette gradation irréversible des actes violents, et parfois meurtriers, dont les auteurs ne se seraient pas crus capables. » D’abord on court pour sauver sa peau, puis on gagne en sachant que les perdants seront exécutés ; de fil en aiguille, on finit par tuer pour ne pas être tué – et peut-être même par envie d’empocher la récompense, histoire de ne pas avoir traversé ces horreurs pour rien.

Ce désengagement moral repose sur trois ingrédients, estime J.F. Marmion : l’autoexonération, soit notre tendance à inventer de nouvelles justifications morales quand on viole un interdit ; la déresponsabilisation, qui nous pousse à rendre les autres ou la situation responsables du mal qu’on a commis ; enfin la déshumanisation des victimes, dont on se convainc pour se dédouaner d’avoir agressé des alter ego. Squid Game met ainsi en scène la violence dont l’humanité est foncièrement capable. La référence aux jeux d’enfants rappelle d’ailleurs que cette agressivité est palpable dès la cour de récréation : à travers les « pan, t’es mort », les « jeux du foulard » ou encore les nombreuses formes de harcèlement. Comme dans Squid Game, résume J.F. Marmion, « le monde est brutal. C’est la règle. Les enfants la connaissent. À défaut de pouvoir la changer un jour, ils s’y adaptent déjà. »

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