Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n° 345, mars 2022). À lire pour aller plus loin : Le Trône de fer et les sciences (collectif), Belin, 2021.
Saga romanesque adaptée en série télé, Game of Thrones fourmille de langues inventées dans un univers médiéval fantastique : le dothraki, le haut valyrien et les dialectes qui en découlent, des argots spécifiques à des quartiers, des corporations ou encore des classes sociales, etc. Au fil des pages, des dizaines de variations dialectales sont évoquées. L’auteur, George R. R. Martin, n’entre pas dans le détail de leur grammaire ou de leur phonologie ; seules quelques expressions sont distillées pour éveiller notre sens de l’exotisme et du merveilleux. La crédibilité de ces idiomes repose davantage sur leur histoire.
« Les langues, les dialectes et leurs évolutions s’inspirent de mécanismes réels »*, insiste le linguiste Frédéric Landragin. Comme dans notre monde, des langues de tradition orale ont disparu dans des temps immémoriaux, à l’image de parlers indo-européens : la « vraie langue » des « enfants de la forêt », la « vieille langue » des Géants… Les premiers idiomes connus, dans cette Antiquité fictive, se sont étiolés avec l’expansion de l’empire valyrien et la diffusion de sa langue. Comme à Rome cependant, la chute de cette puissance hégémonique a entraîné une extinction : le « haut valyrien classique » est devenu une langue de prestige, à l’instar du latin classique, utilisée par une partie de la noblesse et dont quelques expressions subsistent dans le langage courant. À Westeros, on ne dit pas « carpe diem » ou « a priori », mais « valar morghulis » par exemple – « tout homme doit mourir ».
De même que, en Europe, un latin vulgaire s’est développé puis diversifié pour donner naissance aux langues romanes – français, espagnol, italien… –, un valyrien populaire est devenu la « langue commune » avant de générer de nouveaux parlers : braavien, meereenien, tyroshi… « Ces dialectes se recoupent partiellement, de même qu’ils peuvent se rapprocher partiellement du haut valyrien », souligne F. Landragin. Game of Thrones met magistralement en scène les efforts d’étrangers pour se comprendre, trouvant des points communs comme le feraient un Français et un Italien par exemple. « Plus la construction repose sur des principes plausibles, plus la langue fera illusion, plus elle ressemblera à une langue qui aurait pu exister dans notre propre monde », conclut F. Landragin.