Ce livre n’est pas un nouvel opus de « pop philosophie » débusquant les idées d’un Nietzsche ou d’un Platon dans le dernier tube de l’été. Il propose une analyse esthétique de cette musique légère et « mauvaise sans exception », telle que la dénigrait Theodor Adorno. Face à ce rejet élitiste des hits d’Abba ou de Claude François, la philosophe et musicienne Agnès Gayraud commence par constater que la pop a désormais gagné : elle est partout et sa légitimité culturelle est rarement contestée.
Prenant acte, l’auteure considère l’histoire et la spécificité de cet art musical aux multiples facettes, son analyse valant autant pour la « pop », au sens restreint, que pour les musiques populaires en général, folkloriques ou alternatives. Contrairement aux formes jugées plus savantes, reposant sur l’écrit et la partition, la pop naît à l’origine de l’enregistrement de performances quasi sauvages, comme les premières ballades et morceaux de blues-rock radiodiffusés aux États-Unis, au début du 20e siècle. C’est cet enregistrement qui fait l’œuvre pop, non seulement en tant qu’il la colore d’un grain particulier – le crissement du vinyle, la qualité de son d’une époque –, mais surtout parce qu’il démocratise son écoute : pour la première fois dans l’histoire, tout le monde peut écouter le hit du moment.
La pop vise dès lors un engouement universel, qui ne sacrifie cependant rien à ses qualités esthétiques. À l’instar de la « juste mesure » théorisée par Mozart, elle entend emballer les experts comme les béotiens. Mais comment plaire à tous quand, en tant qu’artiste, on souhaite exprimer sa différence et son originalité ? La « dialectique de la pop » désigne cette « lutte intestine » entre un élan presque enfantin, au cœur des grands succès, et les mécanismes de standardisation de l’industrie musicale. À l’avenir, remarque A. Gayraud, d’autres formes musicales émergeront de nouvelles conditions de production, la diffusion numérique et le streaming se substituant à l’édition discographique.
Dialectique de la pop, Agnès Gayraud, La Découverte/La Rue musicale, 2018, 522 p., 26,50 €. Cet article est paru dans Sciences Humaines (n° 309 – décembre 2018)