Ils seraient cultivés, à l’aise financièrement, habiteraient les centres de grandes villes et voteraient de manière homogène, plutôt à gauche… Ils, ce sont les bobos. Une « caricature » selon Jean Rivière, enseignant-chercheur en géographie, qui vient de publier L’Illusion du vote bobo (PUR, 2022), où il démontre l’hétérogénéité de cet électorat supposé. Cette interview est parue dans Le Journal du CNRS.

Pourquoi dites-vous que le « vote bobo » n’existe pas ?
Jean Rivière. Au-delà du vote, c’est l’idée même de « bobo » qui pose problème. C’était déjà l’objet d’un précédent livre collectif auquel j’ai participé : Les Bobos n’existent pas (PUL, 2018). À travers cette notion, on imagine une catégorie de la population qui serait homogène sur presque tous les plans – idéologique, politique, intellectuel, professionnel, géographique… Ce serait des personnes bien dotées, financièrement et culturellement, privilégiant les centres de grandes villes et adhérant plutôt à des idées de gauche.
« Le terme de “bobo” est apparu sous la plume de l’essayiste conservateur américain David Brook au début des années 2000 »
Mais dès qu’on essaye de comprendre concrètement de qui on parle, à l’aune de statistiques et de recherches scientifiques, on constate bien vite que c’est une caricature. Vous ne pouvez pas mettre sur le même plan un architecte vedette, propriétaire à Paris et gagnant 10 000 euros par mois ou plus, et un jeune graphiste indépendant installé dans un studio à Lille, qui peinerait à joindre les deux bouts. Ils n’ont pas forcément les mêmes préoccupations, goûts ou idées… Et souvent ils ne votent pas de la même façon. C’est pourtant ce qu’on fait croire en les associant à un même « vote bobo ».
Cette idée s’est néanmoins imposée sur la scène médiatique…
J. R. Le terme de « bobo » est apparu sous la plume de l’essayiste conservateur américain David Brook au début des années 2000. En France, l’expression est d’abord reprise avec une certaine autodérision par des médias situés à gauche. Puis la droite et l’extrême droite s’en emparent à la fin des années 2000 pour délégitimer des causes politiques associées à ce groupe supposé : l’écologie, l’antiracisme ou encore l’antisexisme.
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