Pocahontas, quand le mythe réécrit l’histoire

La représentation de Pocahontas dans le film de Disney (1995) s’inscrit dans une mythologie révisionniste occultant la réalité de la colonisation.

Décembre 1606, le navigateur anglais John Smith gagne le « Nouveau Monde », future Amérique du Nord. Les colons y sont régulièrement en conflit avec un peuple autochtone, les Algonquins ; Smith est même capturé et condamné à mort. Alors que le chef Powhatan s’apprête à faire exécuter sa sentence, sa fille Pocahontas s’interpose et le supplie d’épargner Smith. Ému par cet acte de compassion et de bravoure, son père libère le navigateur anglais. Aujourd’hui encore, ce récit est asséné aux États-Unis dans des manuels scolaires, des bandes dessinées ou encore des dessins animés – à l’image du film Walt Disney de 1995, qui imagine même une romance entre Smith et Pocahontas.

La réalité est pourtant bien différente, dénonce le théoricien de la littérature Klaus Theweleit dans Pocahontas au pays des merveilles (L’Arche, 2024). Loin d’avoir été une médiatrice entre deux peuples, ou une héroïne pacifiste, Pocahontas était avant tout une enfant de 12 ans ; elle n’a pas vécu de romance avec John Smith, mais fut kidnappée, violée et mariée de force à un autre colon, John Rolfe. Convertie malgré elle au christianisme, elle est emmenée à Londres pour servir la propagande du Royaume britannique. Les Anglais érigent sa légende en symbole d’une conquête de l’Ouest bienheureuse et pacifique.

« Pocahontas sauve la vie du capitaine John Smith », illustration de 1870 – une image d’Épinal bien éloignée de la réalité

Selon Klaus Theweleit, ce processus de falsification historique a été une façon de masquer la violence de la colonisation, de la romantiser et de la légitimer dans l’imaginaire occidental. Aujourd’hui encore, le mythe de Pocahontas est mobilisé comme le symbole d’une fondation pacifique des États-Unis. Des livres pour enfants, voire des manuels scolaires, en font une figure importante de la naissance du pays, cultivant une vision édulcorée et révisionniste de cette période.

Pour Klaus Theweleit, toute dynamique coloniale est par essence un rapport de domination, de violence et d’exploitation : le rapt des femmes, l’annexion brutale des terres ou encore la destruction des cultures locales ne sont pas des accidents, mais des méthodes sciemment mobilisées pour prendre possession d’une terre. Les femmes comme Pocahontas en étaient en outre les premières victimes, les mariages forcés et alliances imposées ayant été des instruments clés de la conquête coloniale. Captive à Londres pendant que son peuple était opprimé, dépressive et souffrante, Pocahontas meurt en 1617 dans des conditions troubles – une maladie peut-être, mais des historiens soupçonnent aussi un empoisonnement. Elle avait 22 ans. 

Cette gravure de 1616, réalisée en Angleterre, est l’unique représentation connue de Pocahontas faite de son vivant. Elle meurt l’année suivante à l’âge de 22 ans

Cette chronique est parue dans Sciences Humaines (n° 373, novembre 2024), à retrouver en ligne !