Tomber sept fois, se relever huit : ce proverbe japonais, issu de la culture des samouraïs, pourrait résumer les destins des icônes mondiales de la culture populaire. Cet article est parus dans le dossier de Sciences Humaines sur « La niaque ! Psychologie de la persévérance » (n°370 – juillet – août 2024)
Blessé, éreinté, le souffle court, le surhomme Captain America est tenu en joue par son adversaire Iron Man. « Restez à terre, dernier avertissement ! », menace ce dernier. Mais le héros de l’univers cinématographique Marvel (33 films depuis 2008) se relève et met ses mains en garde comme un boxeur. « Je pourrais faire ça toute la journée », rétorque-t-il en titubant. Cette réplique est sa marque de fabrique : même à moitié mort, il trouve toujours des ressources pour repartir au combat et aller de l’avant. Dans ce monde de superhéros, c’est aussi un trait caractéristique de l’homme-araignée Spider-Man ou de la lumineuse Captain Marvel, par exemple. Même quand il ne s’agit pas d’un trait de personnalité, cet improbable surplus d’énergie est un peu le propre de tous les protagonistes des grands récits d’aventures. Les héros ou héroïnes pourraient en effet être définis comme ceux qui ont la force de continuer là où les personnes ordinaires abandonneraient.
Dans Le Héros aux mille et un visages (1949), l’anthropologue Joseph Campbell affirme que tous les protagonistes de récits mythologiques, religieux, ou même de contes populaires, doivent tôt ou tard triompher d’une épreuve décisive. Dans l’Odyssée d’Homère (8e siècle avant notre ère), Ulysse est condamné à l’errance à travers la Méditerranée, affrontant des défis de plus en plus grands – tempêtes, cyclopes, géants cannibales… Jusqu’à sa descente dans le Royaume des ombres, où il frôle littéralement la mort, pour que le fantôme de Tirésias lui apprenne enfin comment rentrer chez lui. Joseph Campbell résume en une phrase cette structure narrative, qu’il juge récurrente : « Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à son prochain. » C’est la thèse dite du « monomythe ».
La théorie de Joseph Campbell agace les anthropologues des religions, unanimes pour la juger spéculative, trop générale et ethnocentrée*. Elle a en revanche une grande influence sur le cinéma hollywoodien. Georges Lucas s’appuie sur la structure du monomythe pour écrire la saga Star Wars. Steven Spielberg, les studios Disney et bien d’autres l’utilisent aussi de façon presque systématique dans leurs scénarios. D’un point de vue artistique, elle se prête parfaitement à l’écriture d’une histoire : l’idée « d’épreuve décisive » chez Joseph Campbell rejoint celle de « climax » ou d’« acmé », issue de la rhétorique grecque. Lorsque la tension dramatique est à son comble, les protagonistes semblent perdus, mais rebondissent in extremis et finissent par triompher, tenant à chaque étape les spectateurs et spectatrices en haleine. Cette technique d’écriture se retrouve encore aujourd’hui dans des fictions du monde entier, des films Bollywood en Inde aux dramas coréens en passant par les mangas japonais.
* Lesley Northup, « Myth-placed priorities : religions and the study of myth », Religious Studies Review, vol. 32, 2006/1.
