Métaphysique du heavy metal

Le sociologue Hartmut Rosa est connu pour ses travaux sur la modernité, la nature ou encore la liberté, moins pour son amour des guitares saturées et du chant crié. Dans un livre surprenant, il évoque sa passion pour la musique métal, cet avatar du rock nimbé d’une esthétique ténébreuse. No Fear of the Dark (2024), qu’on pourrait traduire par « Sans craindre l’obscurité », s’inscrit dans la droite ligne de ses écrits sur le concept de « résonance ».

Dans son précédent essai, Hartmut Rosa constatait notre tendance à nous couper du monde, pris dans l’accélération du quotidien, aliénés par un nombre infini de tâches à boucler… comme enfermés dans notre bulle. Retrouver notre sentiment de bonheur et de liberté demande de réapprendre à entrer en relation avec les autres et avec la nature.

Aller à un concert de métal est une façon de le faire, explique-t-il : bousculer et être bousculé en sautant avec le public (pogoter), marquer le rythme avec de vigoureux mouvements de tête (headbanging), reprendre en chœur un refrain en faisant les cornes du diable avec la main… Autant de façons « d’entrer en résonance », avance le sociologue.

Nous nous connectons à la musique : elle nous touche, nous émeut et nous transforme ; elle nous donne de l’énergie, nous rend rêveurs ou encore nostalgiques. Bref, elle nous relie au monde mais aussi à nous-mêmes. Selon Hartmut Rosa, une tendance fondamentale des individus modernes est d’être à la recherche d’expériences « existentielles ».

Le métal en est porteur : à travers son esthétique de l’obscurité et de la violence, cette musique nous confronte à l’idée de néant et de mort, et nous renvoie ainsi à notre finitude. Les adeptes témoignent d’une « volonté absolue de se confronter, avec le plus implacable sérieux, à la part sombre et insondable de l’existence, insiste Hartmut Rosa, de ne pas l’esquiver mais de la regarder au contraire droit dans les yeux et de la braver avec courage ».

Car le métal offre aussi des notes d’espoir, poursuit le sociologue. S’il sublime la catastrophe, la destruction du monde et de notre vie, c’est pour mieux lancer « à grand fracas ses riffs et ses solos contre elle », tout en prenant appui sur « les anciennes harmonies sacrées », d’inspiration baroque ou médiévale, et sources de quiétude. Comme le chante Metallica dans Now That We’re Dead (2017) : « Quand l’obscurité tombe, se peut-il que nous voyions la lumière ? (…) Au-delà du noir, nous nous relevons. Nous vivrons éternellement. »  

À LIRE
• No Fear of the Dark, La Découverte, 2024
• Résonance, La Découverte, 2018

Cette chronique est paru dans Sciences Humaines (n° 369, juin 2024). Rendez-vous sur le site pour d’autres articles sur l’actualité de la recherche, des livres et des idées.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.